Alex de la Iglesia, réalisateur prolixe mais passablement anonyme dans nos contrées (malgré des producteurs français, tiens), est de ces gens dont on sait trop s’il flirte avec la folie ou le génie. Voir les deux, finalement. L’auteur des apocalypses à venir (El día de la bestia), des vendeurs en magasin totalement fous (Crimen ferpecto) ou des tirs à balles comptées (800 balles), entre autres choses, sait faire dans le grand n’importe quoi et avec n’importe quel sujet. Le pire? Loin d’être raté, ses films sortent des ornières de la série B grâce à un ton fatalement irrévérencieux, et l’air mine de rien de se constituer une filmographie des plus solides.
Premier film scénarisé entièrement par le maître himself (désolé, on ne parle pas espagnol), ce Balada Triste est une oeuvre dense et épique sur les malheurs d’un clown amoureux transi, orphelin malheureux et pas forcément des plus sains au final. Maniant la folie comme jamais, De la Iglesia suit son personnage dans sa descente aux enfers grâce à un scénario évitant les longueurs, coupant là où il faut pour nous amener à un über clown féroce au coeur tendre dans l’Espagne de 1973. Les enfants sont loin. Tirant vers sans doute un fantasme d’adolescent, le réalisateur mélange réalité (la guerre civile, puis Franco) avec la fiction en utilisant son personnage archétype à mort et totalement stéréotypé dans son costume trop large, le clown à pâle figure devenant l’emblème de son fatidique destin. Mélodrame moderne mais classique, Balada Triste suit les errances d’un homme aimant une femme déchirée, elle-même victime de son propre fait face à son amant violent.
Nous voilà donc en pleine tragédie, loin de la modernité féroce qu’on souhaiterait rattraper! Javier, le héros, se métamorphose comme un personnage de conte en ange vengeur (pour le coup beaucoup plus intéressant que Legion..), oubliant sa bonhomie pour aller butter du fasciste, et si possible son adversaire, également clown terrible, défiguré et physique à souhait. Feu Heath Ledger vient de se faire voler la vedette, loin de Gotham… Dans une fantasmagorie de quartier, Balada Triste ne serait d’ailleurs pas loin des mauvais quartiers de la ville à la chauve souris, avec son relent de Pingouin à la Burton, personnage tragico-comique, livré à lui-même envers et contre tout. Et malgré la touche à la Iglesia de folie furieuse dans sa création, de sentiment ubuesque de folie tapageuse, on se retrouve bel et bien face à une histoire d’amour, pleine et entière, renversée par un déferlement de sang et d’acier, mise en scène funeste d’un destin hautement tragique. Loin des potacheries précédentes, Alex de la Iglesia signe un film sombre, romantique, fataliste, qui ne laissera pas de marbre. Un film fou, à tout point de vue.