Que penser de la vente d’organes ?

Publié le 07 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

Sujet tabou entre tous ! La question de la vente de ses organes fait l’unanimité. Contre elle. Pourtant, à l’heure où un jeune Chinois vient de vendre un rein pour s’acheter un iPad, Wikibéral n’hésite pas à soulever cette épineuse, voire choquante, question.

Le docteur Uba achète au meilleur prix vos organes... (il s'agit en fait d'une fausse annonce, pour la promotion d'un film d'horreur sud-africain, Night Drive)

La question de la vente de ses organes est un point de désaccord entre libéraux classiques et certains libertariens. Pour les libéraux classiques, un tel droit n’existe pas. Les libertariens le voient à l’inverse comme une simple extension de la doctrine de la propriété de soi-même, car elle ressort à la liberté exclusive qu’a chaque individu de disposer de son propre corps.

La vente d’organe est un sujet qui ne fait donc pas l’unanimité parmi les libéraux. Plutôt que de détailler la vision libérale, classique et peu encline à s’engager sur ce genre de sujet, intéressons-nous ici à la vision libertarienne.

Vision libertarienne


Les lois punissant la vente d’organes sont des lois illégitimes en regard des droits naturels. Dans les pays où prévaut l’interdiction (par exemple en France l’article 1128 du Code civil empêche de conclure des conventions sur tout ou partie du corps humain, en tant que « chose hors commerce »), la législation est en réalité absurde et incohérente, car elle autorise le don d’organe, signifiant que notre corps tantôt est notre propriété (le don est autorisé), tantôt ne l’est pas (la vente est interdite). Elle tente d’imposer une morale particulière fondée sur un postulat de l’« inviolabilité de la personne humaine ». Elle dénie la possibilité juridique d’être propriétaire de son corps au nom justement du respect du corps de chacun ! Le comble de l’absurdité est atteint quand la loi dit qu’une personne décédée est automatiquement présumée donneuse, sauf indication contraire ou volonté des proches : on ne peut vendre un organe, mais à sa mort, par défaut, il appartient à tout le monde. Le comble du cynisme est atteint lorsqu’on considère qu’un organe que le propriétaire original n’a pas eu le droit de vendre, comme son sang, est ensuite vendu par les intermédiaires, et taxé par l’État comme une marchandise normale.

La question de la vente ou du don d’organes remet au premier plan une distinction fondamentale du point de vue libéral : celle qui existe entre le droit et la morale. La confusion entre ces deux concepts produit un droit arbitraire « à géométrie variable », alors que pour le libéralisme est permise toute action qui ne viole pas un droit d’autrui, peu importe ce que les « moralistes » de tous horizons peuvent en penser.

En pratique, on recense, selon les pays, de 10 à 40 donneurs d’organes volontaires pour un million d’habitants, ce qui est très insuffisant. Du seul point de vue utilitariste, interdire la vente d’organes revient à condamner à mort ceux qui en ont besoin et ne pourraient se les procurer autrement. Comme à chaque fois que l’on s’en prend à la liberté des personnes, l’interdiction de la vente n’empêche pas l’existence d’un marché noir, avec des conditions sanitaires bien moindres, de par sa clandestinité.

À noter qu’en raison de l’inaliénabilité de la volonté humaine, on ne peut réellement vendre de façon définitive qu’un organe qui a déjà été extrait. En aucun cas on ne peut forcer quelqu’un à se faire ôter un organe même s’il s’y est engagé par contrat.

Objections courantes


« La vente d’un organe est du ressort de la liberté de chacun, certes, mais peut-on dire par exemple qu’une personne en difficulté qui vendrait un rein pour nourrir ses enfants soit libre ? »

Cette objection résulte d’une définition erronée de la liberté (voir ce terme), fréquente chez les collectivistes, par laquelle on confond liberté sociale (au sens du droit, c’est-à-dire absence de coercition) et capacité à faire une action, abusivement appelée « liberté » (c’est la vieille distinction marxiste entre liberté réelle et liberté formelle). Une telle objection peut en fait s’appliquer à tous nos besoins et dans toutes les situations. Par exemple je suis libre d’acheter ce que je veux qui est en vente, mais en fait je ne suis pas « libre » de le faire si je n’ai pas l’argent nécessaire : mais alors, pourquoi n’ai-je pas cette « liberté » ? Qui « doit » me la donner ? Et que dois-je faire pour l’obtenir ? Peut-on dire vraiment qu’il s’agit d’un manque de liberté ? De la même façon, on prétendra que le salarié pauvre qui vend librement sa force de travail n’est en réalité pas libre de le faire (théorie collectiviste de l’échange inégal), comme si on était mieux placé que lui pour savoir ce qui était bon pour lui, et comme s’il était un irresponsable tout juste bon à être assisté – c’est le vieux mépris paternaliste qui réapparaît dans ce point de vue.

Interdire la vente d’organes revient à se substituer à la personne concernée et à lui imposer un choix moral qui n’est pas le sien. Qui mieux que la personne elle-même est le meilleur juge d’une action qui la lèse ou non ? L’interdiction relève de l’oppression, car à travers elle on exerce un droit illégitime sur le corps d’autrui. Que propose celui qui déplore qu’une personne en difficulté doive vendre un rein ? Que la personne vole pour assurer sa subsistance ? Si l’objecteur est cohérent, rien ne l’empêche d’exercer sa solidarité envers la personne dans le besoin, plutôt que d’en appeler à une interdiction légale coercitive qui va fermer une issue possible pour une personne conduite à une telle extrémité. En réalité, l’objecteur ne se soucie pas d’être solidaire, il veut imposer de force sa vision morale des choses, peu importe si cela gêne en dernier ressort les personnes directement concernées (tant les vendeurs que les acheteurs potentiels).

« Autoriser la vente d’organes aboutirait à la création d’un marché dont profiteraient les riches aux dépens des plus pauvres »

Cette objection reflète plusieurs fantasmes très courants : le marché qui serait coercitif, alors que c’est un lieu d’échanges, rien n’obligeant un pauvre à vendre quoi que ce soit ; le pouvoir des riches, supposé sans limite, et permettant d’acheter même ce qui n’est pas à vendre ; et toujours une morale qui prétend régenter par la contrainte le comportement des personnes, tant de celles qui seraient disposées à vendre que de celles qui attendent des transplantations et seraient disposées à acheter. C’est la même morale liberticide qui condamne la prostitution ou l’usage de la drogue, attitude antilibérale qu’on peut résumer en quelques mots : « on sait mieux que vous ce qui est bon pour vous ».

« Vous soutenez des pratiques qui ont cours dans les pays totalitaires »

Certainement pas. Que certains pays, comme semble-t-il la Chine, organisent des trafics d’organes à partir de condamnés à mort ou de prisonniers des camps de concentration existants est totalement illégitime, puisqu’il n’y a pas consentement de la part des victimes.

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Voir aussi

Bibliographie

  • 2003, Gary Becker et Julio Jorge Elias, Introducing Incentives in the Market for Live and Cadaveric Organ Donations, [lire en ligne]
  • 2005, Bertrand Lemennicier, La morale face à l’économie, Editions d’organisation, ISBN 2708134434

Liens