La vie engendre la vie. L'énergie produit l'énergie. C'est en se dépensant soi-même que l'on devient riche. (Sarah Bernardt)Le débat entre les énergies vertes et les énergies polluantes est vif. D'un côté, vous avez les partisans des sources d'énergie propre (éolien, solaire) qui veulent faire disparaître le plus vite possible toute forme d'énergie polluante. De l'autre, vous trouvez les industries émettrices de gaz à effet de serre (pétrole, gaz, charbon) ou de déchets radioactifs (nucléaire) qui mettent en avant que les énergies propres ne sont pas capables de produire de l'énergie à la demande. Qu'est-ce qui les en empêche ?
Stocker l'énergie
Le nœud gordien est le stockage de l'énergie : si vous pouvez stocker durablement l'énergie d'une source donnée, alors vous pouvez réguler sa redistribution.
Le carburant est ainsi une forme de stockage de l'énergie, que l'on peut utiliser au moment voulu. Il n'y a pas plus pratique, mais son utilisation est polluante.
A contrario, considérons l'énergie produite par une éolienne : lorsqu'il y a du vent, on dispose d'une certaine puissance électrique, mais celle-ci dépend de la vitesse du vent et disparaît en l'absence d'un souffle d'air. Si vous voulez utiliser une éolienne pour alimenter votre cuisinière à midi, il faut qu'il y ait du vent, sinon vous mangerez froid ! Seule solution pour éviter cette situation désagréable sans faire appel à une énergie polluante : trouver un moyen pour stocker l'énergie produite par l'éolienne.
Alors, comment peut-on stocker l'énergie ? Pour faire un inventaire exhaustif, il faut être méthodique. Sans prétendre à l'exhaustivité ici, on peut se baser sur la page de Wikipédia relative à l'énergie qui donne une liste des formes que peut prendre l'énergie :
- l'énergie cinétique : énergie associée au mouvement d'un objet macroscopique, elle peut être stockée dans un solide en rotation comme une toupie ;
- l'énergie thermique : énergie associée à des mouvements microscopiques (vibrations d'atomes, notamment), elle peut être stockée dans un corps chaud isolé ;
- l'énergie gravitationnelle : énergie associée à la gravité, elle peut être stockée dans un corps placé en hauteur comme l'eau d'un barrage ;
- l'énergie élastique : énergie associée à la déformation d'un solide, elle peut être stockée dans un solide déformé comme un ressort ;
- l'énergie électrostatique : énergie associée à la présence de charges électriques, elle peut être stockée dans un condensateur ;
- l'énergie chimique : énergie associée à la transformation chimique d'un corps, elle peut être stockée sous la forme de carburant ou de batterie ;
- l'énergie de fission : énergie associée à la transmutation de noyaux atomiques, elle peut être stockée sous la forme de matière fissile.
Considérons successivement ces énergies selon l'énergie stockable dans un kilogramme de matière et par durabilité de ce stockage.
Une toupie peut a priori emmagasiner autant d'énergie que l'on souhaite, car cette énergie dépend de la vitesse de rotation. Si la toupie a une forme de cylindre très creux, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un volant d'inertie, l'énergie stockée par unité de masse est égale à V^2, où V est la vitesse (en m/s) de sa partie extérieure. Pour une vitesse de 100 m/s, on stocke donc 10 kJ/kg.
Mais une toupie en rotation perd son énergie de rotation par friction et il est délicat de garder une toupie en rotation libre plus de quelques minutes : il faut éliminer tout contact mécanique (faire léviter magnétiquement la toupie par exemple) et placer la toupie dans une enceinte sous vide pour éliminer le frottement de l'air. C'est loin d'être évident.
Un corps chaud isolé peut aussi stocker de l'énergie, limitée par la température maximale d'utilisation. Si on prend le corps le plus favorable, l'hydrogène, dont la capacité calorifique est de 14,3 kJ/kg/°C, on voit qu'élever sa température de 100°C permet de stocker 1,43 MJ/kg. On voit que le corps chaud a un potentiel de stockage a priori très intéressant.
Par contre, il faut gérer les pertes thermique au travers de l'isolation. Le thermicien attentif observera que le matériau idéal pour l'isolation provisoire (disons, sur 24 heures si l'on souhaite lisser une variation jour-nuit de la puissance de la source) n'est pas celui avec la plus faible conductivité thermique, mais celui qui a la plus petite effusivité thermique. Et il n'est pas du tout sûr (je parie même le contraire) qu'un gaz comme l'hydrogène permette de conserver une bonne partie de sa chaleur pendant 24 heures.
Un travail de sélection des matériaux est nécessaire pour voir si une telle solution de stockage thermique est viable. Mais une chose est sûre : le temps joue en sa défaveur, et on n'a guère de chances de réguler par cette voie des fluctuations de puissance sur plusieurs semaines.
Le stockage d'énergie gravitationnelle est déjà utilisée par l'industrie hydroélectrique au travers des barrages. Il s'agit ici d'utiliser le même principe mais en alimentant le barrage par un pompage alimenté par une source d'énergie propre (en plus de l'énergie solaire qui a permis d'évaporer l'eau qui alimente le cours d'eau du barrage). La quantité d'énergie stockable dépend essentiellement de la hauteur : pour un barrage de 100 m de haut, on stocke une énergie d'environ 1 kJ/kg.
Pas énorme, certes, et il faut donc des infrastructures gigantesques pour stocker de l'énergie. Mais l'énergie ainsi capturée peut être stockée indéfiniment.
Un ressort est un moyen également commode pour stocker indéfiniment de l'énergie. Dans ce livre, page 127 et suivantes, l'auteur Michael Ashby montre que le meilleur matériau pour fabriquer un ressort est le caoutchouc, qui peut stocker entre 18 et 45 kJ/kg d'énergie élastique.
Un condensateur électrique est la solution classique de l'électronique pour stocker de l'énergie pendant une fraction de secondes. Par contre, lorsqu'il s'agit de stocker durablement l'énergie, on préfère utiliser des batteries, plus durables et de plus grande capacité. Dans le cas d'un accumulateur au lithium, Wikipédia indique une fourchette de 100 à 200 Wh/kg, soit entre 360 et 720 kJ/kg, et une décharge de 1% à 10% par mois. C'est donc une solution assez intéressante, car relativement durable et de bonne capacité.
Pour ce qui est du carburant, une autre page Wikipédia indique pour l'essence 47 MJ/kg et pour l'hydrogène 142 MJ/kg. On est clairement dans une autre catégorie ! Avec l'avantage pour l'hydrogène d'être plutôt propre (sa combustion donne de l'eau, mais l'air contient de l'azote qui peut réagir avec l'oxygène à cause de la chaleur de combustion et produire des oxydes d'azote polluants) et de pouvoir être obtenu par électrolyse de l'eau, donc à l'aide d'une source propre.
Enfin, la matière fissile est championne toutes catégories de l'énergie stockée : l'uranium naturel contient ainsi 560 GJ/kg d'énergie de fission. Par contre, je ne connais pas de moyen simple de convertir de l'énergie propre en énergie de fission.
Résumons-nous. Certaines solutions évoquées ne permettent pas de stocker à long terme de l'énergie (toupie, corps chaud isolé) ; d'autres ont une capacité de stockage faible (barrage, ressort) et imposent des grandes installations ; et d'autres permettent pas de stocker de l'énergie produite par une source propre (matière fissile). Les deux technologies qui semblent les plus appropriées pour stocker de l'énergie propre sont les batteries et l'hydrogène en tant que carburant, avec un net avantage pour l'hydrogène.
Utiliser l'énergie quand elle est produite, et économiser
Stocker est effectivement crucial pour lisser la production d'énergie des sources propres, par nature irrégulières. Mais il existe des situations où une production permanente à puissance maximale n'est pas nécessaire. Ainsi, les salines exploitent directement l'énergie solaire pour extraire le sel de l'eau. La production est irrégulière (elle varie en fonction de la météo), mais les producteurs de sel se sont traditionnellement adaptés à cette irrégularité. C'est aussi le cas des agriculteurs et plus généralement de la plupart des exploitations de la nature.
S'inspirer de ces métiers pour organiser la production peut permettre à bon nombre d'activités industrielles de se passer d'énergie polluante. C'est une opportunité typique de médiation technique, car l'industriel qui déciderait d'organiser son activité selon les variations de la nature afin d'être 100% écologique a sans doute beaucoup à apprendre de l'organisation de ces métiers traditionnellement dépendants de la nature, et un médiateur technique peut faciliter l'échange entre professionnels peu habitués à la logique de l'autre.
Pour finir, l'énergie la plus propre, c'est celle qu'on ne consomme pas : l'économie, la chasse au gaspillage, l'isolation thermique et toutes les solutions évitant d'utiliser de l'énergie sont bienvenues.