En France, on ne connaît gučre Luigi Bisignani, journaliste de haut vol, que l’on dit trčs influent dans les antichambres du pouvoir italien. On imagine volontiers que sa sagacité, son sens aigu de l’information et son brio ont fréquemment inspiré son frčre Giovanni, directeur général de l’IATA en fin de mandat, grand communicateur, souvent provocateur et partisan inconditionnel du verre ŕ moitié vide. Chaque fois que l’occasion s’en est présentée, tout au long d’une décennie trčs agitée, Giovanni Bisignani a en effet agité le drapeau rouge, annoncé les pires des catastrophes, prédit des lendemains qui déchantent. Il a parfois eu raison mais il lui est aussi arrivé de se tromper lourdement.
Le voici qui se prépare ŕ quitter l’IATA, trčs probablement ŕ regret, lui qui a transformé cette fonction trčs respectable en tribune, en machine de guerre. Il a dénoncé sans répit les infinies inventions des Etats en matičre de taxes de toutes espčces, s’en est pris violemment aux autorités aéroportuaires ancrées dans leurs confortables monopoles, a critiqué avec force la mauvaise gestion de l’espace aérien européen. Sans relâche, il a pointé du doigt tous les cataclysmes qui ont affecté la bonne marche de l’industrie des transports aériens pendant sa mandature : guerres, actes terroristes, révolutions, crises sanitaires, éruptions volcaniques, tremblements de terre, accidents conjoncturels de toutes espčces et, bien sűr, l’effrayante escalade du prix du pétrole. Son frčre aurait dű ętre réalisateur hollywoodien, et non pas journaliste romain : il aurait ŕ coup sűr mis en scčne ce grandiose scénario catastrophe.
Le successeur, Tony Tyler, ancien patron de Cathay Pacific, s’annonce plus calme, plus posé, moins fort en gueule. Mais, tout bien réfléchi, l’IATA (dont les membres assurent 93% du trafic aérien mondial) n’a que faire d’un grand conformisme. Elle est tourné la page de l’époque oů elle jouait discrčtement un rôle de puissant cartel pour devenir un groupe de pression pas tout ŕ fait comme les autres. Avec Bisignani, l’association a fini de virer sa cuti et, volontiers agressive et provocatrice, elle a bien joué un rôle.
Il lui est pourtant arrivé de se voiler la face, d’ignorer de nouvelles réalités, ŕ commencer par la montée en puissance des compagnies low cost. Trop souvent, l’IATA a fait comme si elles n’existaient pas, un comportement qui a parfois terni sa crédibilité. Cette semaine, dans un discours d’adieu prononcé ŕ Singapour, Bisignani a évoqué lesdites low cost en trois mots, une concession en forme de petit événement.
Cela étant dit, le bilan est solide. Dans le désordre, l’IATA bisignanesque a généralisé le billet électronique, source d’économies impressionnantes, a simplifié le fonctionnement du secteur (ŤSimplifying the Businessť) avec un gain annuel de 5 milliards de dollars et a permis d’accroître la productivité de 67%.
Bisignani a bouclé la boucle, mouvement amorcé par ses illustres prédécesseurs, notamment Pierre Jeanniot. Il a permis ŕ l’IATA d’enfin renoncer ŕ la langue de bois, il a dénoncé les travers de l’aviation commerciale qu’on ne retrouve dans aucun autre secteur. A commencer par des pertes abyssales dčs que la conjoncture faiblit et, quand tout va franchement mieux, un bénéfice (celui de 2010) de 18 milliards de dollars qui n’impressionne personne dčs qu’on le met en rapport avec des recettes de prčs de 600 milliards. Cette rentabilité médiocre est Ťpathétiqueť, a souligné Bisignani ŕ maintes reprises, et avec beaucoup de justesse.
Notre homme, qui se prépare ŕ quitter Genčve, ne retourne pas dans sa Péninsule natale. Il lui préfčre Londres oů il sera visiblement un retraité hyperactif. Il est d’ores et déjŕ trčs demandé et, entre autres activités, il siégera au conseil d’administration du groupe Safran.
Bisignani laisse derričre lui un mystčre : pourquoi a-t-il brillamment réussi ŕ moderniser l’IATA alors que, précédemment, il n’avait pas été capable de redresser Alitalia ? Peut-ętre, aprčs tout, se sentait-il ŕ l’étroit en Italie.
Pierre Sparaco - AeroMorning