Une rue de Manhattan, fin mars, 4 heures du matin. La police surprend un homme dans une position délicate. Un travesti de 20 ans lui fait une fellation. Il est arrêté. Cet homme n'est pas n'importe qui. Il s'appelle Calvin Lebrun, il est plus connu sous le nom de Mister Cee. C'est une figure incontournable dans le monde du rap. Ce DJ de 44 ans, qui anime une émission quotidienne à la radio, a notamment découvert feu Notorious Big. L'annonce de son arrestation crée l'émoi dans le monde du hip hop. Mister Cee gay ? Les critiques fusent dans ce milieu assez homophobe. Mais, plus étonnant, les soutiens pleuvent aussi. Et pas de n'importe qui.
Des pointures du rap demandent aux bloggueurs et twitteurs qui s'enflamment sur les réseaux sociaux de respecter la vie privée du DJ. Le rappeur 50 Cent va même jusqu'à dire qu'il soutiendra Mister Ceequelle que soit son orientation sexuelle. Le monde du rap est-il en train de faire son outing ? Alors queMister Cee doit être jugé en juin pour "obscénité et exhibitionnisme", décryptage avec un spécialiste du monde du rap, Olivier Cachin*.
TF1 News : Le soutien apporté à Mister Cee, c'est du jamais-vu dans ce milieu ! Peut-on dire que le monde du rap est petit à petit en train de faire son outing ?
O.C. Dans cette histoire, deux issues étaient possibles. Soit, le DJ était cloué au pilori par sa communauté. Soit, comme cela s'est passé, il apportait une nouvelle vision de l'homosexualité. Cela témoigne effectivement d'une sacrée évolution. Cela montre bien l'influence que peut avoir le milieu artistique sur un artiste. Confronté à une autre réalité que celle du ghetto -monde fermé et étouffant-, il comprend que les préjugés qu'il avait en tête ne sont pas valides. Regardez Eminem, il a beaucoup évolué sur l'homosexualité.
TF1 News : Ou comme Kanye West qui, dans une chanson, a attaqué la manière dont est traitée l'homophobie dans le rap...
O.C. : Oui, mais en réalité, de telles actions ont surtout une influence sur la perception du rap par les gens qui y sont extérieurs. On s'aperçoit finalement que ce n'est pas du tout un milieu pouvant se réduire à cette caricature du "tous homophobes, tous violents".
TF1 News : Le monde du rap est un milieu plutôt homophobe... Y a-t-il une explication ?
Olivier Cachin : Aux Etats-Unis comme en France, le milieu du rap reflète le milieu d'où il vient. Généralement les ghettos pour les Etats-Unis, les cités pour la France. Ce sont des artistes qui se sont faits eux-mêmes. Ils ne sont pas beaucoup allés à l'école et n'ont pas eu accès à tout cet humanisme que professent les donneurs de leçons qui disent "oh, c'est un scandale de dire ça..."
Peut-être aussi que les rappeurs sont plus "premier degré". Il y a parfois -et ce serait idiot de le nier-, un certain machisme, une certaine homophobie dans leurs propos. Mais tous ne sont pas comme ça. D'ailleurs, beaucoup ont évolué sur le sujet... C'est de moins en moins l'apanage du rap.
TF1 News : Mais lorsqu'on fait du rap, il faut prouver qu'on est un mec, un vrai, avec jolies filles et grosses voitures... ?
O.C. : Le rap est une musique d'affirmation d'identité. Il faut en rajouter pour montrer qu'on existe, qu'on est le meilleur, qu'on a ce qui il y a de mieux : un mec avec de l'argent, de la virilité. Il y a effectivement ce côté surenchère. Dans les cités, il est quasiment impossible de s'affirmer homosexuel, c'est quelque chose de très difficile à assumer et à vivre au quotidien. Et c'est vrai que quand on est un rappeur, cela n'arrange pas les choses.
Ce qui est amusant paradoxalement, c'est que les rappeurs, et surtout les rappeurs américains, dégagent une charge hallucinante d'homo-érotisme dans leurs photos, leurs clips : plaquettes de chocolat, corps huilé... On est parfois près de la caricature à la Village People !
TF1 News : Plus globalement, peut-on être gay dans le monde du rap ?
O.C. C'est très difficile à dire. Disons que certains artistes assument leur part de féminité. Quelqu'un comme André 3000 du groupe OutKast s'habille avec des robes, il a un côté très précieux, manucuré... Je ne pense pas qu'il soit gay mais il pourrait l'être d'une certaine façon. Des rappeurs qui se revendiquent gay, cela n'existe pas.
Un jour, peut-être, un rappeur pourra dire "je suis gay, et alors ?" Et peut-être qu'à ce moment là, comme les Américains sont très sur la mode, cela deviendra "hype". Comme ça peut être "hype" depuis Kanye West, de s'habiller avec des tenues de créateurs et plus seulement en vêtements de sport. Le milieu évolue, jamais il y a quelques années, un rappeur n'aurait assisté à un défilé de mode ! Le vrai jugement reste sur la musique, pas sur les préférences sexuelles ou la couleur de peau. Quand Eminema dit un jour "et oui, je suis blanc mais je suis quand même le meilleur dans le rap", même les plus racistes des rappeurs ont été obligés de dire : "ouais, on l'aime peut-être pas mais il déchire..."
TF1 News : Et le rap français dans l'histoire ?
O.C. : Là aussi, les mentalités évoluent. L'épisode Sexion d'Assaut a donné un sacré coup d'accélérateur. Au départ, ce n'était qu'une interview dans un magazine spécialisé**. Des propos lamentables de 'petits cons'. Et puis, il y a eu cette prise de conscience. La façon dont le groupe a reconnu cette "connerie" et fait ses excuses a beaucoup agi pour l'ouverture d'esprit des jeunes de banlieues et des rappeurs. Les membres du groupe ont réagi de façon adulte en réfléchissant au sujet, en rencontrant des associations de lutte contre l'homophobie etc. Ils ont fait comprendre qu'on a le droit d'être homosexuel et c'est tout. Cet épisode les a fait beaucoup grandir.
*Olivier Cachin, journaliste et écrivain, a notamment écrit "le dictionnaire du rap" (éditions Scali 2007). Il anime tous les samedis de 10 heures à midi l'émission La Collection Privée du Mouv' sur la radio du même nom.
** C'est dans le magazine "International Hip Hop", sorti en juin 2010, que naît la polémique de Sexion d'Assaut autour de l'homophobie. Dans l'interview signée Nat V, on y lit ces propos attribués à Lefa Pendant un temps, on a beaucoup attaqué les homosexuels parce qu'on est homophobes à cent pour cent et qu'on l'assume.