Je lis actuellement "La Chine du cauchemar" de Lucien Bodard. L'auteur m'est familié -son style en fait- car j'avais avalé il y a quelques années de cela sa trilogie (L'enlisement, L'humiliation, L'aventure) sur le conflit indochinois. C'est davantage un journaliste qu'un historien mais ses livres sur le conflit indochinois m'en ont plus appris que des livres d'histoire sur le même sujet. Il vous fait entrer au coeur des événements et des hommes. Son style est percutant, rythmé, alletant. Du grand art pour qui sait apprécié. (Je vous laisse vous renseigner sur le personnage si lueur d'intérêt car suis trop paresseux pour vous recopier des morceaux de biographie).
Je vous livre ci-dessous un dialogue rendu par L.Bodard entre 2 protagonistes - une indienne investie dans la cause des femmes et un des principaux "cadres" de l'Associationdes Femmes Démocratiques :
_ En Chine vous agissez comme si vous vouliez changer la nature humaine. Est-ce bien cela le but?
_ C'est bien là notre objectif. Nous sommes en train de donner naissance à des êtres complétement différents, non plus dirigés par l'intérêt et l'égoïsme, mais par l'amour du peuple.
_Mais croyez-vous y parvenir?
_Nous y arriverons certainement. Nous avons déjà obtenu de grands résultats grâce à l'éducation, la persuasion, l'habitude de la vie collective.
_Moi, je crois que vous échouerez. Les hommes et les femmes parfaits sur lesquels vous comptez fonder votre société rouge n'existent pas, ne peuvent pas exister. Ce seraient d'ailleurs des monstres... Vous voulez supprimer le mal, en lavant les cerveaux à la façon dont on se brosse les dents ou dont on nettoie les rues. Vous obtiendrez des êtres psychologiquement stérilisés, qui pratiquent ce que vous appelez le Bien. Vous donnez en exemple les fils qui dénoncent leur père, les "cadres" qui font travailler les tuberculeuxcrachant le sang. Moi je trouve cela affreux, peut-être pire que toutes les turpitudes.
Vous avez nationalisé la victoire du Bien contre le Mal, inventé des méthodes pour la rendre automatique, permanente et générale. Les gens contraints d'obéir aveuglement se retrouvent transformés en saints. Moi je doute de la valeur de vos résultats; je n'aime pas cette mécanique du sublime.
Je crois que le Bien et le Mal existent constamment en chaque créature. Ces deux principes sont nécessaires et indestructibles; ils forment l'équilibre du monde.C'est en se battant lui-même contre ses propres démons que l'homme s'élève. Sans cesse il retombe,et doit recommencer le combat : c'est cette ffort qui est le véritable élan vital. L'Etat, la société ne peuvent qu'aider les individus, non pas résoudre les problèmes pour eux.
A bon entendeur...
A propos du livre : il décrit le Grand Bond en Avant chinois, expérience sociale ultime qu'on ne peut que difficilement imaginer. C'est tout le talent de Lucien Bodard que de nous la faire sentir, ressentir. Un lecteur attentitif et prompte aux rapprochements, associations aléatoires pourra faire un parallèle audacieux entre la voie chinoise et celle que nous empruntons. En seconde analyse, il semble que nous soyons parvenu à des résultats identiques, en particulier nous avons inconsciemment renié notre essence, ce que les chinois ont fait en un temps record par l'auto-critique , nous l'avons réalisé par des voix détournées, subtiles et dans le temps (1 ou 2 générations).
Grand moment de lecture en perspective. N'hésitez pas!
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