Sergine Desjardins
Éditions Trois-Pistoles
488 pages
Résumé:
Dans Robertine Barry - On l'appelait Monsieur, l'auteure nous décrit avec force détails le Montréal du tout début du XXe siècle, la relation qu'entretien la femme de lettres avec le poète Émile Nelligan, les ultimes embûches qui ont marqué les dernières années de la vie de cette femme peu ordinaire.
Mon commentaire:
Après Robertine Barry: La femme nouvelle voici le second volume de cette passionnante biographie sur la première femme journaliste canadienne-française. Dans le premier tome, on s'attardait à la vie familiale des Barry et aux premiers pas dans le journalisme de Robertine. Dans ce second tome, Robertine est maintenant une journaliste reconnue, qui a beaucoup écrit et publié. Cependant, sa place n'est toujours pas acquise. Frondeuse, elle tient tête au clergé, soulève les critiques et les préjugés en étant une femme libre, suscite les commérages lorsqu'elle glorifie le célibat au détriment de la maternité. À l'époque, Robertine voguait vraiment à contre-courant. Armé d'un bonheur de vivre et d'une grande force de caractère, il lui est toutefois arrivé à quelques reprises dans sa vie de succomber à des périodes de dépression.
Outre son travail, Robertine a fait quelques voyages. Elle avait une foule d'amis très chers à son coeur et a vécu des périodes difficiles lorsque son "frère d'amitié", Emile Nelligan, lui écrit des poèmes qui changent à jamais leur relation. Il est ensuite interné et ne fut plus jamais le même. Cet épisode est très triste dans la vie de Robertine et Nelligan ne saura probablement jamais toute l'affection qu'elle lui portait.
Dans cette seconde partie de la biographie, on retrouve plusieurs changement dans la vie de Robertine qui doit faire des choix se rapportant à son travail. Elle fonde un magazine, Le journal de Françoise; participe à l'exposition universelle de 1900 à Paris; adopte la bicylette, symbole de liberté des femmes, fortement décrié par les médecins et subit la censure de l'église ainsi que les affronts des groupes de femmes qui ne sont pas suffisamment radicales au goût de Robertine.
L'époque de Robertine est particulièrement bien décrite, des mentalités en passant par la religion qui dictait la vie personnelle et publique du temps. Plusieurs sujets différents sont abordés dans le livre: l'hygiène, les maladies et la médecine, les voyages, le clergé, la censure, les salons et les cercles littéraires, les transports, la mode, etc. On assiste également à l'évolution du journalisme qui fait peu à peu une place aux femmes comme Robertine et à la révolution qu'entraîne l'apparition de la photographie. Toutes ces informations sont ajoutées au fil des pages au portrait de Robertine. Il est aussi très intéressant de voir que plusieurs éléments de la vie de sa vie sont demeurés secrets, tel sa relation avec Nelligan dont rien n'est certain. Robertine avait plusieurs amis francs-maçons, on ignore toutefois si elle en était également. Même la fin de sa vie nous laisse perplexes...
Robertine s'est battue pour plusieurs causes durant sa carrière de journaliste. Elle prônait une réforme de l'éducation, une réforme sociale et politique, ainsi que l'alphabétisation et l'accès à la culture pour tous. Le féminisme prenait une grande place dans son quotidien, mais également certaines autres causes tout aussi louables comme la justice, l'ouverture de bibliothèques publiques, le paiement des droits d'auteur, le respect du travail intellectuel, le droit de vote, les enfants malades. Elle a tenté toute sa vie d'affronter et de briser les préjugés tout en souhaitant modifier les mentalités.
Ce second tome est tout aussi captivant que le premier. Nous découvrons la deuxième partie de la vie de Robertine, jusqu'à sa mort. Sergine Desjardins analyse également les raisons pour lesquelles Robertine, qui avait travaillé à de nombreuses causes nobles, tomba néanmoins dans l'oubli quelques temps après sa mort. Aujourd'hui, la plupart des gens ne savent même pas qui elle est, ni ce qu'elle a réellement accomplit.
La biographie de Sergine Desjardins consacrée à Robertine Barry manquait décidément dans le paysage littéraire québécois. Il était temps qu'une auteure de talent redonne ses lettres de noblesse au travail d'une femme qui s'est battue toute sa vie contre l'inconscience et les préjugés pour offrir aux victimes d'injustice un monde un peu plus ouvert.
Robertine Barry mérite de sortir de l'oubli dans lequel elle est malheureusement plongée depuis trop d'années. En espérant que mes billets sur le sujet vous auront donné envie de découvrir Robertine Barry à travers la plume de Sergine Desjardins.
Une biographie en deux tomes à découvrir, passionnante et instructive.
À noter que l'on retrouve dans ce second tome, un index complet des deux livres de la biographie, en plus d'un feuillet de photographies, comme dans le premier tome.
Pour lire mon billet sur le premier tome de cette biographie, c'est ici!
Quelques extraits:
"Qu'une femme comme elle [Robertine] reconnaisse publiquement son talent fut d'un grand réconfort pour Émile [Nelligan]. Il était rarement encensé. Sa poésie, centrée sur la musicalité plutôt que sur les idées, déconcertait par sa trop grande différence avec ce qu'on lisait habituellement." p.85
"En revendiquant l'ouverture des bibliothèques publiques accessibles à toute la population, c'est la démocratisation de la culture et de l'instruction qu'elle valorisait. Elle heurtait ainsi les valeurs des élites conservatruces qui, pour la plupart, ne tenaient guère à cette démocratisation. Maintenir les gens dans l'ignorance permet de mieux les exploiter." p.166
En complément:
Le site web de l'auteure, Sergine Desjardins.