George agonise. Le cancer qui le ronge a atteint sa phase terminale. Entouré des siens, installé dans un lit médicalisé planté au milieu du salon, il vit ses dernières heures. George Washington Crosby est né à West Cove, dans le Maine, en 1915. En 1936, il a déménagé dans le Massachusetts et y a fondé sa famille. Ancien ingénieur, il a opéré une reconversion sur le tard dans le commerce et la réparation d’horloges. Avant de fermer les yeux une fois pour toutes, George laisse les souvenirs remonter à la surface. Il repense à son père, Howard, vendeur ambulant dans une carriole tirée par un âne. Un homme souffrant d’épilepsie qui faillit un jour lui trancher les doigts avec ses dents lors d’une terrible crise. Un homme qui, un soir en revenant de la « tournée quotidienne qui l’emmenait par les chemins de traverse vendre ses brosses et son savon aux matrones de l’arrière-pays, et apercevant sa famille dans la pénombre de la fenêtre de la cuisine, avait cravaché sa mule […] et poursuivi sa route à bord de sa carriole pour ne s’arrêter qu’une fois arrivé, anonyme, à Philadelphie. »
Pénible, voila comment je qualifierais mon entrée dans ce roman couronné aux États-Unis par le prix Pulitzer 2010. La narration est totalement décousue, oscillant entre le présent, le passé et des considérations ultra techniques sur l’horlogerie. Une sorte de maelstrom indigeste et sans grand intérêt. Et puis, alors que j’étais sur le point d’abandonner, le miracle s’est produit. A la page 70, au début de la seconde partie, l’histoire se focalise sur la jeunesse de George, et plus particulièrement sur les événements qui ont poussé son père à fuir le foyer. L’écriture devient fluide, limpide, et l’on découvre la rudesse de la vie dans l’Amérique profonde des années vingt. Cinquante pages lumineuses qui justifient à elles seules la lecture du roman.
Paul Harding prend son temps. Il oscille avec talent entre les descriptions contemplatives de la nature, la violence incontrôlable d’une crise d’épilepsie ou encore les fulgurances de l’esprit en perdition d’un mourant. Son texte, à la fois pastoral et lyrique, enchaîne les tableaux comme autant d’images miniatures ciselées avec une précision d’orfèvre.
Un roman inégal mais qui mérite d’être lu pour peu que l’on aime la littérature, loin de tout effet de mode et d’une quelconque recherche d’action ou de divertissement à tout prix. .
Les foudroyés, de Paul Harding, Éditions Le cherche midi, 2011. 186 pages. 15,00 euros.