Robertine Barry: La femme nouvelle

Par Anne Onyme

Sergine Desjardins
Éditions Trois-Pistoles
424 pages

Résumé:

Dans Robertine Barry, l'auteure Sergine Desjardins nous fait partager la vie de cette femme résolument moderne, indépendante et hautement respectée qui défendit avec une conviction inébranlable la justice sociale et les droits des femmes, qui a grandement contribué à la diffusion de la littérature québécoise et qui a été une source d'inspiration pour plusieurs générations de femmes engagées. L'auteure nous entraîne sur les chemins qui ont marqué la vie de cette grande dame, de L'Isle-Verte où elle est née jusqu'à Montréal en passant par Trois-Pistoles et Les Escoumins où elle a résidé. Une histoire de vie qui se lit comme un grand roman tant est captivante la destinée de Robertine Barry.

Mon commentaire:

Robertine Barry est née en 1863. Son père était irlandais et Robertine a toujours été très fière de ses racines. Femme de tête, elle était féministe avant l'heure, prônant pour les femmes le libre choix, militant pour l'éducation obligatoire, pour l'ouverture de bibliothèques publiques, pour la protextion des droits d'auteur et surtout, pour que les femmes soient reconnues comme des personnes à part entière et non plus dépendantes d'un mari, d'un père ou d'un frère. Intelligente et mature, elle se dirige très tôt vers l'écriture qui la passionne. Son souhait le plus cher: devenir journaliste. Ce qu'elle deviendra, envers et contre tous. Robertine Barry est la première femme journaliste canadienne-française.

Robertine est aujourd'hui assez méconnue du grand public. La biographie en deux tomes de Sergine Desjardins nous brosse un portrait captivant d'une femme décidée qui a apporté beaucoup à la société de son époque et par ricochet, à la société d'aujourd'hui. Elle a défié les conventions et fortement milité pour que les femmes puissent occuper les mêmes emplois que les hommes, aux mêmes conditions. Issue de la bourgeoisie, les critiques ont été cinglantes envers elle tout au long de sa vie. Elle devait avoir une solide colonne pour affronter les mesquineries des hommes, mais également des femmes, qui considéraient que la place des dames étaient à la maison, à mettre au monde des enfants.

À l'époque, être une "femme nouvelle" alors que l'église dicte sa censure et les règles de vie, il fallait assurément être très forte. Les mentalités de l'époque ne valorisaient pas la littérature et la lecture, surtout chez les femmes. On croyait que ces deux activités causaient une foule de problèmes de santé chez le "sexe faible". Vouloir devenir journaliste, c'était se battre toute sa vie. Robertine l'a fait et elle s'est même taillé une place considérable dans le monde des journaux, allant jusqu'à fonder son propre magazine. Elle s'était donnée pour mission de donner une voix aux femmes, de mettre sa plume à leur service afin de faire évoluer les choses. Son premier article fut publié en 1891, sous le pseudonyme de Françoise. Ce nom de plume la suivra d'ailleurs toute sa vie.

Ce premier tome d'une biographie fortement documentée (la bibliographie en fin de volume est d'ailleurs une vraie mine d'or!) est captivant. Il nous plonge à une époque magnifiquement bien décrite et nous suivons les traces de Robertine de sa naissance jusqu'à son embauche au journal La Patrie. Le livre se lit comme un vrai roman, avec de nombreux détails sur la vie des personnalités qui entourent Robertine et sur son parcours dans le monde du travail. Le portrait familial des Barry que brosse Sergine Desjardins est fabuleux, nous donnant l'impression de les connaître et d'évoluer près d'eux. Anecdotes familiales, historiques et politique, c'est le tableau d'une époque qui nous est offert, avec ses croyances et ses rituels. La biographie est remplie d'extraits d'articles de journaux ou de lettres.

À travers la vie de Robertine Barry, nous voyons évoluer la condition des femmes du Québec de cette époque, mais aussi celles d'Europe, Robertine ayant des amies outremer, elle compare régulièrement les conditions des femmes sur ces deux continents. Robertine admirait de nombreuses femmes écrivains telles que les soeurs Brontë, George Sand et Laure Conan, ainsi que les personnages des romans de Jane Austen. Elle avait aussi de nombreuses amitiés très précieuses pour elle: Honoré Beaugrand, Joséphine Marchand Dandurand, Marie Gérin-Lajoie, Louis Fréchette, Emile Nelligan et sa mère, Emilie. La relation qu'elle entretenait avec Emile Nelligan faisait énormément jaser. Une femme célibataire, beaucoup plus âgée que le jeune poète, qui pouvait passer des heures à parler littérature et poésie avec lui, n'était pas bien vu à l'époque. D'ailleurs, nombre de choses que faisait Robertine était perçu d'un mauvais oeil dans la société conservatrice et religieuse du Québec du début du XXe siècle.

Aimant énormément le travail de Sergine Desjardins que j'avais découvert avec son excellent roman Marie Major, c'est avec beaucoup d'attentes que je me suis penchée sur la vie de Robertine Barry. Je savais vaguement qu'il s'agissait d'une de nos premières journalistes, sans plus. J'ignorait tout le travail qu'elle avait accomplit et toutes les portes qu'elle a dû défoncer pour faire changer certaines mentalités. J'ignorais également tout de sa relation avec Emile Nelligan. Le jeune auteur lui a même dédié quelques uns de ses poèmes. Leur histoire d'amitié est triste et passionnante, ce qui m'a donné envie de redécouvrir ce poète que j'ai énormément lu à l'adolescence.

Robertine Barry la femme nouvelle va au-delà de mes attentes en nous offrant le portrait d'une femme unique, défiant l'autorité et les considérations de son époque en prônant des idées que le peuple n'était pas tout à fait prêt à endosser. Un feuillet de photographies est inséré au centre du volume. Une riche et passionnante bibliographie complète l'ouvrage. J'y puiserai certainement plusieurs de mes prochaines lectures.

Robertine était une grande dame des lettres, malheureusement plutôt oubliée aujourd'hui. Je compte bien lire éventuellement son recueil de nouvelles Fleurs champêtres, dont il est énormément question dans la biographie.

Un ouvrage bien documenté que je suggère fortement pour tous les passionnés d'histoire et surtout, de l'histoire des femmes. Robertine fut une pionnière dans de nombreux domaines et elle mérite d'être reconnue aujourd'hui pour tout ce qu'elle a fait pour la cause des femmes.

À lire! 

Pour le billet sur le second tome de cette biographie, c'est ici!

Un extrait:

"La mentalité d'alors charriait l'idée qu'il n'y a pas de vie plus heureuse que celle des femmes mariées de la bourgeoisie qui passaient leur temps en visites mondaines, réceptions, thé, et qui changeaient de toilettes quatre à cinq fois par jour. Bien des gens étaient indifférents au fait que la futilité de ce genre d'existence rendait désespérées et mélancoliques plusieurs d'entre elles." p.229

En complément:

Le site web de l'auteure, Sergine Desjardins.