Ce très intéressant documentaire français nous transporte sur les hauts-plateaux du nord-ouest de la Chine, dans la vallée du FLEUVE JAUNE, aux origines mêmes de la civilisation chinoise. Là, voici des millénaires, « des hommes ont forgé une nation, maîtrisé la fonte des métaux, apprivoisé une terre douce comme la soie ».
La Chine doit sa naissance à « ces Chinois du nord austères et courageux », et, surtout, à « la terre jaune de la Chine du nord, le LOESS millénaire ».
En effet, « là où tout a commencé, il n’y avait rien d’autre que de la terre et de l’eau ».
L’extrait d’un texte chinois ancien affiché sur l’écran nous donne la mesure de l’importance du « somptueux FENG-HI, le dieu du Fleuve Jaune ».
Le fleuve sacré si précieux doit sa couleur à la terre toute particulière de cette région. Qu’est-ce que le lœss ? Géologiquement parlant, une « poussière sédimentaire » soufflée par le vent depuis le nord, la Mongolie.
La particularité majeure du lœss, aux yeux des humains, est d’être « d’une fertilité sans égale ».
C’est ainsi que le lœss a été la grande chance de la Chine, même si, en hiver, son instabilité pousse encore aujourd’hui les paysans à tenter de « stabiliser les sols » balayés par les vents.
Le lœss occupe une immense étendue de « dix millions de kilomètres carrés », entre le Fleuve Jaune et le YANG TSE-KIANG. « Il a façonné le paysage de cette région » bénie.
Mêlé à l’eau, il forme un limon qui « dévale les plateaux » ; aux yeux des Chinois d’hier comme d’aujourd’hui, il est le « terreau primordial », la terre chinoise par excellence, à laquelle le peuple s’identifie profondément, religieusement.
C’est en ce sens que l’on peut dire que la Chine est le pays d’une terre.
L’ « Âme du Dragon » est paysanne, autant qu’elle est ingénieuse. Car au lœss, on doit aussi un très grand nombre d’ « inventions ».
« Ces rives ont vu l’installation des premiers villages d’agriculteurs », voici 10 000 ans, au néolithique.
De nos jours, le lœss offre l’aspect d’ « une plaine semi-désertique ». Il était pourtant loin d’en aller de même en les époques reculées des débuts de l’agriculture et de la civilisation chinoise, où les sols se trouvaient couverts d’une « vaste forêt de feuillus ». Il y a 6 000 ou 3 000 ans, arbres et arbustes abondaient. On nous en présente la preuve, sous l’espèce du tout dernier vestige de cette « forêt primaire », demeuré préservé à LONG LING, de par la volonté des souverains locaux. Nous voyons d’aimables collines, tapissées de bois d’un beau vert, qui enchantent encore les Chinois d’aujourd’hui pour qui elles constituent un « endroit magique ».
Les arbres ont pour vertu de retenir les nappes phréatiques et les sources.
Mais hélas, « le bois a été sacrifié à la grandeur des premières dynasties » chinoises, les YIN et, dès l’aube de la Chine, s’enclencha une déforestation intensive.
Pour ce qui est des Yin, on apprend, par la bouche d’un savant chinois, qu’une « fabuleuse découverte archéologique » a pu être faite.
Sur le vaste territoire de HAN YANG ont été mis au jour de nombreux tombeaux liés à cette dynastie et datant de « 1 600 ans avant notre ère ». On nous explique que ce sont les tombes des rois Yin et que leurs « structures gigantesques et complexes » attestent du « niveau de civilisation atteint », ainsi que du « sens de l’abstraction géométrique ».
Ces tombes Yin comportent des « rampes d’accès immenses » qui s’enfoncent dans le sol. En leur centre, on trouve la « dernière résidence » du couple royal où était déposé pour l’éternité le sarcophage du souverain. Juste autour de son emplacement étaient déposées « des centaines de poteries, de vases, d’objets de jade utilisés lors des sacrifices humains ». En tout, onze sépultures de l’époque Yin ont été recensées et fouillées. Elles représentent un « fabuleux trésor ».
Elles avaient pour fonction de rapprocher les premiers rois de la terre, « matrice de leur univers ».
Dès 3 600 avant notre ère, la région de SHENG-ZHOU était parsemée de champs de millet et de soja.
Le lœss ne s’est pas contenté de donner vie à cette brillante culture, il en a aussi largement « conditionné l’évolution ».
Non content d’être le berceau de la culture basique du millet, il se révéla être un « matériau architectural » de choix. En tant que tel, mêlé d’argile, il permit la construction de nombreux types d’édifices : maisons des paysans, palais des rois, enceintes des premières villes fortifiées.
Cela est du au fait que les Chinois firent une découverte majeure, qui s’avéra déterminante : ils apprirent à faire sécher et à tasser le lœss de longues heures durant de façon à ce qu’il durcisse et acquière « la même qualité que la brique ». Cette technique, encore pratiquée au jour d’aujourd’hui, les gens de la région l’appellent le BAN-SU. Elle fut précieuse à leurs ancêtres, puisqu’à ces époques reculées, la faune, abondante, constituée de rhinocéros et d’éléphants, « sortait la nuit pour dévaster les cultures », ce qui obligea les paysans chinois à édifier des murs en lœss dans le souci, vital, de protéger leurs champs. On imagine la « patience et la minutie » (toutes qualités chinoises) qui s’avérèrent nécessaires à cette technique de tassage-séchage du lœss !
La capitale des Yin elle-même était entourée d’une enceinte de lœss.
En « 500 ans de règne », cette toute première dynastie « jeta les bases d’un état conquérant ». Elle donna lieu, entre autre, aux « premières observations astronomiques », de même qu’à un système d’écriture pictographique très élaboré. Elle développa, en outre, les arts de la divination.
Comme elle disposait, en sus, de gisements d’étain et de cuivre, elle développa également « l’art de travailler le bronze », ce qui eut pour résultat la production de « vases cérémoniels d’une perfection jamais atteinte dans l’Antiquité ». Ces vases en bronze, nous les voyons : ils étincèlent de mille feux et sont parcourus d’arabesques complexes appelées TAO-TI, qui « représentent une déité ».
En ces temps-là, la métallurgie était d’ores et déjà « centrale », et très vite elle donna dans « l’affinement des alliages ».
Comme nous l’explique la sinologue française du CNRS Corinne DEBAINE-FRANCFORT, « les souverains chinois acquièrent la force et le pouvoir » qui leur permettent d’ « étendre leur foyer de civilisation » grâce à cet art du métal consommé.
Pour « faire du bronze », quatre nécessités : « des gisements, du lœss, du bois et de l’eau ».
Des scientifiques japonais ont été jusqu’à reconstituer le processus de fabrication des fabuleux vases Yin : le lœss, transformé en argile, servait (là encore) à concocter d’énormes moules, et cette tâche « réclamait des heures de patience ». Le professeur japonais est formel : « une autre terre se serait, à coup sûr, effritée » ; « seul le lœss pouvait permettre de pareilles prouesses » (à savoir le dessin des « fines arabesques »). Au cours du processus de fabrication, le métal était porté à des températures qui dépassaient les cent degrés centigrades et, une fois de plus, « seul pouvait résister le lœss ». La matrice ne servant qu’une seule fois, « chaque pièce était unique ».
Et c’est ainsi qu’on finissait par contempler, sur les vases, « le visage du dieu » qui, en « brillant de mille flammes », témoignait puissamment de sa présence, de son existence.
« Dans ces vases, apprenons-nous, le souverain offrait du vin aux dieux ».
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que « le bronze était le matériau de l’élite », le symbole du pouvoir et du rituel ». De même qu’il était à la base de la fabrication des armes, essentielle à cette culture belliqueuse, il était à la base de celle des « bronzes rituels du culte des Ancêtres ».
Régulièrement, à la cour des Yin, se tenait un « grand banquet » qui réunissait le souverain et l’élite (notamment, les prêtres). Si le prince était le seul qui pût prétendre avoir « l’oreille des dieux », la foule était aussi associée à ces rituels au cours desquels, au milieu des « vapeurs d’encens », on voyait « des centaines de danseurs honorer les dieux » et leur souverain-médium.
Les vases, quant à eux, n’alignaient pas seulement des arabesques : y défilaient aussi, outre des animaux mythiques comme des dragons, toute la faune antique, aujourd’hui totalement disparue, d’éléphants et de rhinocéros.
Cependant, cette civilisation avait aussi sa part d’ombre.
« Des nuages noirs enveloppaient souvent les campagnes », et « la guerre faisait partie de la vie quotidienne ».
Outre les armes (pointes de flèches et de lances) qu’il permettait de fabriquer, le bronze donnait lieu à la fabrication de chars de combat. Cet « arsenal », qui était l’objet d’une véritable « production en série », servait à équiper des « armées immenses » et redoutables, de sorte que le pays plongea dans un « conflit perpétuel » qui devait durer mille ans !
Des cités entières, telle celle de HAN YANG, furent mises sauvagement à sac à la faveur de « guerres effroyables » qui entretenaient, dans les campagnes, un climat de crainte de tous les instants.
Et pourtant ! « C’est [aussi] l’heure du confucianisme et du taoïsme », et les cours ne se bornent pas à rivaliser sur les champs de bataille : elles font assaut de créativité artistique autant que de raffinement intellectuel. Sur les fameux vases, les choses changent : « les dieux cèdent le pas à des figures humaines ». Un « humanisme » chinois est en train de se développer.
Reste qu’en 650 avant Jésus-Christ, « l’instabilité se transforme en terreur ». En témoigne le site de YING-SU où l’on a découvert des fosses qui révélèrent que « 7 500 hommes avaient eu la tête tranchée », par souci de les empêcher d’avoir accès à l’au-delà.
Ces troubles ravagèrent le pays durant quelques 1 500 ans. Ils allèrent jusqu’à provoquer l’émigration de certains clans, tels les KIANG vers la province de SI-CHUAN, au cœur de la Chine méridionale. « Les chamanes du Si-Chuan chantent encore la tragique époque » de la spoliation des Kiang, lesquels, uniquement motivés par la crainte de voir réapparaitre leurs féroces ennemis, hérissèrent leur région d’accueil de hautes tours.
En 230 avant Jésus-Christ , pourtant, cette situation allait enfin prendre fin, sous l’impulsion décisive des QIN (prononcer T’CHIN).
Forts de leur maîtrise du fer, ces derniers soumettent peu à peu toutes les principautés rivales, encore appelées « ROYAUMES COMBATTANTS ».
Un deuxième texte chinois ancien apparait sur l’écran ; il se termine par une phrase explicite : « nul ne peut dompter l’esprit du dragon ».
L’Esprit du Dragon, c’est désormais le roi QIN CHE-HUANG-DI qui va l’incarner.
En 1974, non loin de la tombe de celui qui devint le premier empereur de Chine, un paysan qui poussait le soc de sa charrue dans son champ découvre les désormais fameuses, les fabuleuses statues de soldats en terre cuite à taille humaine.
Mais qui était ce Che-Huang-Di ?
Pour nous donner une idée de ce personnage déterminant, Corinne Debaine-Francfort nous cite le portrait (peu flatteur) qu’en dresse un historien chinois ancien : au physique, « un nez proéminent, des yeux larges, une poitrine d’oiseau de proie, un regard de chacal ». Au moral, toujours selon le même historien, on a affaire à un véritable « dévoreur d’hommes », un « avaleur de tous contradicteurs ».
Assurément, le premier empereur était un franc mégalomane qui se croyait « au centre du monde », et un tyran de la pire espèce. L’image qui reste de lui est celle d’un « dictateur implacable obsédé par la mort ».
Lorsque le décès de cet homme hors du commun, qui fit trembler son monde en lui imposant une discipline de fer survient, son extraordinaire armée de statues de terre le suit dans la tombe. Normal : Che-Huang-Di se voyait, en premier lieu, comme un guerrier !
L’empereur tatillon et tyrannique poussa la minutie jusqu’à exiger des sculpteurs que chaque visage de chaque statue soit doté de « traits propres ».
Mais demeure un mystère : « que contient le tombeau [proprement dit] de Che-Huang-Di ? ».
Situé à deux pas de l’ « armée de terre cuite », il se dissimule encore sous une colline artificielle à laquelle on n’a pas touché. Sa construction a mobilisé pas moins de 700 000 personnes, et « son volume est supérieur à celui de la Grande Pyramide d’Egypte ». Aux dire des chroniqueurs chinois, il renfermerait un « immense palais sous-terrain », doublé d’une sorte de « microcosme du monde » comprenant, entre autre, des « rivières de mercure ».
Si le mausolée n’a pas encore été fouillé, on sait cependant que des mesures de détection externe ont révélé « des teneurs en mercure importantes ».
En août 1998 survint, sur le site, une nouvelle découverte : « à côté des statues, un arsenal ! » Cet arsenal consiste en « 500 armures d’une facture exceptionnelle » puisqu’elles sont en « pierre finement travaillée » et « conçue pour épouser les courbes du corps humain ».
En fait, chaque armure est constituée de 612 plaques d’ardoise. A l’évidence, il s’agissait là des armures des statues de soldats !
Pour antipathique et redoutable qu’il ait été, Qin Che-Huang-Di est celui qui fit de la Chine L’EMPIRE DU MILIEU. Bâtisseur obsessionnel et « pharaonique », il dota le pays, outre de la GRANDE MURAILLE telle qu’elle est maintenant, d’un gigantesque barrage de lœss, dont on a très longtemps cherché la trace…jusqu’à ce qu’un professeur chinois la découvre récemment, sur le Fleuve Jaune. Vieux de 2 000 ans et long de deux kilomètres et demi, l’édifice « irriguait toutes les plantations de la plaine ». Il doit sa construction à l’utilisation d’outils en fer.
Che-Huang-Di l’implacable fonda, pour le meilleur et pour le pire, « un état théocratique et autoritaire » qui réalisa la prouesse de durer « jusqu’au début du XXe siècle ». Son action (mise en place de toute la structure administrative de la Chine, menée de concert avec la construction de canaux et de routes) correspond à « une nouvelle phase de civilisation », qui sera par la suite reprise par les HAN. Nous assistons là à la mise en place des « fondements de la Chine d’aujourd’hui ».
Avec et grâce à Qin, la Chine est « unifiée du nord au sud » et l’identité chinoise se renforce encore. La tradition des gouvernements autoritaires – garants de l’unité, de l’ordre, et antidotes contre la crainte du retour à la guerre civile – s’établit, et elle perdurera jusqu’à nos jours. Fondamentalement, les Chinois sont un vieux peuple de paysans. Or, l’agriculture, pour s’épanouir, pour garder son efficacité, a besoin d’ordre.
Aujourd’hui, les Chinois remontent vers les plateaux de lœss ancestraux pour y planter des arbres. Leur espoir ? « Un jour, peut-être, ces montagnes seront couvertes d’arbres en fleurs ».
Ce qui est certain, en tout cas, c’est que « 4 000 ans de civilisation » ont fortifié chez ce peuple sa « capacité à s’unir pour surmonter les obstacles», à « se souder pour faire face ».
Cette capacité, ce sentiment d’identité fort sont un atout majeur.
P. Laranco