Le 31 Mai, l'Observatoire de l'Obésité était invité à assister au Petit-Déjeuner du Centre de Sociologie des Organisations (CSO) organisé en partenariat avec la chaire Santé de Sciences Po et le Centre d'analyse des politiques publiques de santé de l'EHESP pour un débat autour de l'ouvrage "Regards croisés sur l'obésité", dirigé par Henri Bergeron et Patrick Castel paru aux Éditions de Santé et Presses de Sciences Po.
Réalisé avec le soutien de la chaire Santé de Sciences Po et du CAPPS de l'EHESP, le présent ouvrage entend, si ce n'est apporter des réponses définitives à ces questions, contribuer à les éclairer par des analyses stimulantes. Il réunit, à cette fin, les regards particuliers que portent sur l'obésité, de manière croisée, la médecine, l'épidémiologie, la science politique, la sociologie, l'économie et l'anthropologie.
Si l'obésité a toujours existé, le fait qu'elle soit perçue comme un problème majeur de santé publique est récent : cet ouvrage tente d'apporter, à partir d'une approche interdisciplinaire, un éclairage nouveau aux politiques et modes d'intervention privilégiés pour lutter contre ce problème.
Présentation de l'ouvrage par Henri Bergeron et Patrick Castel
Si les médecins, les économistes et les épidémiologistes ont tendance à caler leur définition sur une norme quantitative (approchée par l’IMC), quand les politistes, anthropologues et sociologues tiennent plus volontiers pour obésité ce que les agents sociaux conçoivent comme telle, tous s’accordent à reconnaître qu’il s’agit là d’un phénomène social dont l’importance politique se manifeste dans au moins trois dimensions principales : sa résonance symbolique et la force sociale du stigmate qui lui est attaché ; sa considérable prévalence et sa qualification en épidémie ; enfin, son récent et rapide triomphe sur l’agenda public. La plupart des analystes insistent également sur la complexité et la variété des processus et mécanismes générateurs de cette « épidémie mondiale » : déterminants environnementaux, déterminants sociaux et économiques, déterminants d’ordre psychologique, génétique, comportemental, etc.
Henri Bergeron
Les différentes contributions mettent en exergue que les politiques publiques concernant l'obésité s'appuient sur un mécanisme de normalisation médicale et sociale et misent en priorité sur la responsabilisation d'individus considérés comme autonomes et rationnels.
Des acteurs politiques et scientifiques étaient réunis, aux côtés de Henri Bergeron et de Patrick Castel, pour débattre de ces conclusions et de leurs implications :- Didier Tabuteau, président de séance, responsable de la chaire Santé de Sciences Po et du Centre d'analyse des politiques publiques de santé (CAPPS) de l'EHESP.
- Henri Bergeron, sociologue, chercheur CNRS au Centre de sociologie des organisations (CSO)/Sciences Po-CNRS, coordinateur scientifique de la chaire Santé.
- Patrick Castel, sociologue, chercheur FNSP au Centre de sociologie des organisations (CSO)/Sciences Po-CNRS.
- Judith Herpe, chef de cabinet de Jean-Marie Le Guen, adjoint au Maire de Paris chargé de la santé publique et des relations avec l'AP-HP.
- Jean-Michel Borys, médecin endocrinologue, diabétologue et nutritionniste, cofondateur du programme Epode (Ensemble prévenons l'obésité des enfants), directeur du réseau européen EPODE, directeur du Développement Santé du groupe Protéines.
- Olivier Oullier, maître de conférences en neurosciences au Laboratoire de psychologie cognitive (Université de Provence et CNRS, Marseille), conseiller scientifique au Département Questions sociales du Centre d'analyse stratégique.
- Abigail Saguy, " Associate Professor " et " Vice-Chair " du Département de sociologie de l'Université de Californie, Los Angeles (UCLA), et " Associate Professor " au Département des " Women's Studies " (UCLA).
Le mélange d'intervenants de disciplines aussi éloignées a permis de balayer la diversité des facettes de cette problématique et encourage définitivement des approches transversales réunissant l'ensemble des acteurs, afin de stimuler des dynamiques et des actions en adéquation avec la société française actuelle.
Vers plus de pratique et de lisibilité : développer la motivation à agir
Car comme le rappelait Jean-Michel Borys, bien qu'au niveau international, des dizaines de rapports ont été publiés, qu'une plateforme européenne a été mise en place, qu'un sommet est organisé en Septembre, que l'OCDE a rendu un rapport économique et qu'en France, nous connaissons un empilement de structures entre le PNNS, le Plan Obésité, le Programme Alimentation,etc.; malgré tout, il reste beaucoup à faire sur le plan pratique. Il y a beaucoup à faire d'une part sur la réduction des inégalités sociales mais aussi pour médiatiser une offre qui est mal connue.
Le succès du programme EPODE est intéressant vu son exportation étudiée dans une vingtaine de pays et que notre "manger-bouger" a connu également une adaptation intéressante par Michelle Obama avec "Let's move !". La motivation est présente partout et Jean-Michel Borys citait l'exemple d'une ville qui possédait un club de marche de compétition et qui souhaitant s'inscrire dans le cadre du programme EPODE a ouvert une section "randonnée familiale" qui est passée de 50 à plus de 200 membres.
La stigmatisation isole et donne une fausse lecture des réalités
L'intervention d'Abigail Saguy, Sociologue, a apporté pour sa part un regard éclairant sur la façon dont les termes "corpulence" ou "obésité" apparaissent dans le monde scientifique et les médias, montrant que les approches individualistes prédominent alliant l'obésité à des individus qui "mangent trop" et "ne bougent pas assez". Certaines explications socio-structurelles sont avancées, telles que le milieu obésigène. Ce n'est que loin derrière que l'on trouve des explications biologiques et génétiques. Le mot "obésité" renvoit à la maladie, à des facteurs de risques, à une approche médicale et à la santé publique. Une originalité existe aux Etats-Unis : défendre l'idée que l'on peut être obèse et en bonne santé (Fat & Fit / health at any size).
Cette dimension médicalisée stigmatise les gros. Et cette stigmatisation génère des cercles vicieux et dans la perception et dans la réalité de ces individus : on va associer les populations défavorisées aux plus obèses et on va identifier qu'être gros réduit les chances de se marier, de se marier avec un "bon parti" d'avoir un "bon job". La précarisation s'entretient en raison des a priori, de même pour l'obésité. Par ailleurs, la stigmatisation décourage les personnes obèses de fréquenter les médecins qui trop souvent les jugent responsables de leur état, les faisant se sentir coupables (aux Etats-Unis les femmes grosses ont le plus haut taux de cancer du col) ou les salles de sports par honte.
Partir du terrain pour proposer des actions réalistes et réalisables
Les neurosciences, représentées par Olivier Oullier, apportent un éclairage important : comment résister et faire les bons choix lorsqu'il est possible de faire manger 4 personnes pour moins de 10€ dans une chaine de fast food face à ce que demande la réalisation d'un plat maison ? Comment manger 5 fruits et légumes lorsque l'on est confronté à des limites économiques ? Comment faire du sport lorsque les infrastructures ne sont pas disponibles aux horaires les plus utiles ? De même, comment se fait-il que les professeur d'EPS ne soient pas formés au lien entre nutrition et sport ? Face à un environnement contraignant, on voit apparaître plusieurs types d'obésité. La dérive s'amorce en parallèle lorsque l'on voit aux Etats-Unis la demande de classer l'obésité comme "trouble mental" par l'American Psychiatric Association. La plupart du temps, des hypothèses ne sont pas envisagées dans la façon d'aborder l'obésité, comme le fait que pour certaines personnes les capteurs de plaisir liés à la sensation fonctionnent moins bien, les menant à consommer plus d'un aliment pour en retirer satisfaction.
Par ailleurs, les "choix individuels" sont souvent dirigés par des influences sociales non négligeable et le mythe du "consommateur rationnel" n'est pas encore à l'ordre du jour : bien souvent on préfère normer plutôt qu'observer les comportements réels, ce qui permettrait d'avoir des modèles moins faux. Nous avons beaucoup de regards portés sur cette problématique sauf qu'ils sont rarement croisés, ce qui permettrait d'éviter certaines erreurs : les acteurs du secteur agro-alimentaires ne sont pas perturbés d'ajouter ou d'être sanctionnés en cas d'oubli de l'ajout des mentions "www.mangerbouger.com", parce que les études montrent que dans tous les cas, elles ne sont pas vues. Il y a des stratégies à mettre en place pour faire évoluer les comportements et les "architectures de choix" : tant que l'on rend plus difficile d'atteindre une pomme qu'un gâteau au self ou que l'on laisse les plateaux, les individus auront tendance la facilité et de manger trop. De plus nous assistons à deux visions qui s'affrontent de façon inégalitaires : le monde écologique et de la santé nous culpabilisent, tandis que celui de l'agro-alimentaire nous vend un monde meilleur... Connaître les conséquences néfastes ne suffit pas : les médecins sont les plus gros fumeurs...
Il faut définitivement partir des comportements plutôt que de se comporter en professeur : il faut communiquer différemment et notamment passer par la "corporalité" des messages qui sont trop souvent "désincarnés". C'est ce que réussit très bien Michelle Obama aux Etats-Unis.
Le débat avec la salle a été ensuite assez intense appelant notamment des réactions sur la place de la Femme aujourd'hui que le modèle familial a évolué, les fondamentaux anthropologiques contre lesquels il est difficile de lutter ("être gros, c'est être en bonne santé"), sur le fait que l'on n'enseigne plus ou ne transmet plus comme avant à cuisiner, sur le poids des comportements sociaux (manger comme les autres, rapport aux marques), sur la violence des modèles vantés par la "presse people" et le culte de la minceur... pour finir sur l'idée qu'il faut replacer au centre des discussions la notion de "bien-être", trop souvent absente.
Quelles suites possibles pour cet ouvrage ?