Dans un "Point de vue" dont "Le Monde" se fait bien entendu le mécène, Michel Onfray pontifie à propos et contre Sartre. Désormais systématiquement entouré de flatteurs et ne rencontrant jamais de contradicteurs sérieux, le prétendu soutien du Front de Gauche (lui, le chantre de Charlotte Corday parmi d'autres "merveilles") se livre à un exercice favori : s'attaquer aux morts qui ne peuvent répondre et prétendre dresser un portrait qui culbute nuances, contextes et autres prises de position, et avec Sartre, faire du freluquet de Saint-Germain des Prés un admirateur des violences politiques. L'autoportrait que Sartre fait de lui-même n'est pas flatteur. M. Onfray serait-il capable d'une telle lucidité ou un certain narcissisme esthète lui interdit définitivement d'être à ce seuil ? En effet, Sartre reconnait, alors qu'il est idolâtré au moment de ces entretiens (ce qui n'était pas sa faute, mais la responsabilité de celles et ceux qui projetaient tant sur lui à défaut de s'engager réellement) que, face aux évènements d'avant-guerre, il a été dépassé : ne les as pas compris, n'a pas su se positionner, etc. Mais évidemment, avec Onfray, tout est mêlé, comme d'habitude : "il a justifié le pacte germano-soviétique". Or, pour tout historien sérieux, ce pacte a, pour les Soviétiques, constituer un cumul d'objectifs et d'avantages : il a favorisé l'expansion militaire de la sphère d'influence de l'URSS, et les dirigeants de l'époque étaient portés par le même projet planétaire que leurs ennemis ou leurs futurs ennemis, les Etats-Unis; il permettait de gagner du temps pour préparer l'invasion allemande que les dirigeants soviétiques savaient inéluctable, puisque Hitler l'avait écrit et répété partout; et il n'y aurait pas eu un tel pacte si l'URSS avait obtenu des dirigeants français et anglais de 37 à 39 un nouveau traité d'encerclement de l'Allemagne nazie, mais ces dirigeants, politiques comme militaires, préféraient Hitler à Staline. En 1939, il était trop tard pour faire du pacifisme sérieux. Les nazis ont utilisé le temps de 33 à 39 pour préparer la guerre, puisqu'en 1939, plus de 80% du budget allemand était consacré à l'armement. Les services secrets français ont alerté, alerté, mais les politiques français, soumis à l'influence de la Synarchie-Cagoule (cf. les livres et travaux de Mme Lacroix-Riz, les PREUVES, qu'elle a trouvé et apporte en la matière) ont préféré faire comme si de rien n'était. Comme son livre sur Charlotte Corday l'a prouvé, le contexte historique de multiplicité échappe à M. Onfray. Il n'en a cure. Il s'agit de régler un compte avec un homme qui, dans le monde d'aujourd'hui, continue d'être plus connu que lui, vous vous rendez compte du scandale. Il s'agit de renvoyer à l'auteur de "Les salauds" ce jugement. Mais voilà, Sartre n'a jamais joué la musique de Saint-Sartre. Déteste t-il des intellectuels avec exagération et mauvaise foi ? Et M. Onfray ? ! Sartre est-il bien informé de ce qui se passe en Chine ? On peut en douter, mais pourquoi M. Onfray ne prend-il pas en compte que Sartre pense contre l'impérialisme et au coeur de ce projet intrinsèquement totalitaire, les Etats-Unis ? Car si la "Révolution Culturelle" a fait des victimes, M. Onfray (lié à cette droite idéologique qui nous fait l'apologie des régimes de liberté quand ils imposent économiquement et techniquement des dictatures raffinées et extrêmement dangereuses à propos desquels et contre lesquels M. Onfray se tait) n'a pas un mot sur les victimes à l'intérieur même des Etats-Unis de la politique etasunienne des années 50 et 60 : et les noirs des Etats du Sud ? Et les défenseurs des droits civiques, surveillés, traqués, éliminés ? et la grande pauvreté, avec des millions de citoyens abandonnés à leur sort ? Comparé à la Chine, le bilan est autrement plus important et plus grave de la part de l'autoproclamée plus grande démocratie du monde, aujourd'hui toujours écrasée par le Patriot Act et autres menées. Et il ne s'agit pas d'être "antiaméricain", car cette dictature économique et technique n'est pas américaine mais européenne dans ses fondements. Vous rendez-vous compte ? : il publie 18 articles favorables à Castro ? Ah, parce que le Cuba de Batista était respectable et soutenable ? Il regrette que le parti communiste n'ait pas pris en France le pouvoir, mais le gaullisme finissant, les revanchards du régime de Pétain ont pu revenir plus fortement au coeur du pouvoir politique français avec Pompidou et Giscard, et est-ce cela que M. Onfray admire ? ! Et quelle lucidité admirable de Sartre sur Cohn-Bendit, Dany le rouge (de honte) qui est devenu un libéral libertaire et non un libertaire libéral, les priorités sont signifiées. Avant de terminer par un prétendu hommage de Sartre aux officiers allemands à Paris sous l'Occupation, le morceau de choix est consacré à la violence politique, dans la Révolution, la Terreur, les attentats palestiniens. "Pour réussir, une révolution doit aller jusqu'au bout. Pas question de s'arrêter à mi-chemin. La droite utilisera toujours la terreur pour lui barrer la route, donc la révolution doit recourir à la terreur pour l'arrêter." La connaissance de Sartre de la Révolution Française justifie son affirmation : pour réussir, elle doit aller jusqu'au bout. La métaphore est totale et vague, car on laisse entendre que le machiavélisme pourrait être partagé par les Révolutionnaires. Pourtant, si la Révolution a échoué, c'est que les dirigeants révolutionnaires réels, Robespierre et Saint-Just, ont précisément renoncé à la violence politique alors que leurs adversaires fourbissaient leurs armes pour les assassiner, parce que la "Terreur" n'a pas été pilotée réellement par Robespierre et que des criminels se sont servis de leurs pouvoirs exceptionnels que Robespierre redoutait pour commettre des crimes en dehors de Paris, pour ainsi salir la Révolution avec le sang d'innocents afin de justifier la procédure générale d'arrêt et de destruction de la Révolution par les Thermidoriens; et la "Terreur blanche", des grands bourgeois et des nobles, méconnue, a été autrement plus féroce. Mais s'il a raison d'aller jusqu'au bout, la référence à la Terreur est de la part de Sartre maladroite, car toute Terreur est humainement insupportable et injuste. Circonvenir les traîtres qui travaillaient parfois au coeur même du pouvoir à Paris, comme Barère de Vieuzac (qui informait les anglais en temps réel, qui vomissait cette Révolution) était déjà suffisant, et les prisons suffisaient. Mais dans un temps où les portes de votre pays peuvent être ouvertes par des traîtres pour que des armées redoutables y défilent, et viennent y massacrer le peuple révolutionnaire (ce qui se passera en 1871 et 1940), la raison se perd et la colère immense suscite des actes qu'après leurs auteurs se reprochent. Le soutien de Sartre aux Palestiniens s'explique par le fait qu'il défend David contre Goliath, à la différence près que le petit géant Israël est autrement plus fort que Goliath, qu'en son sein, des citoyens israëliens s'opposent à la politique de mépris et de haine à l'égard des Palestiniens, des sémites frères des Hébreux d'Israël. Lorsqu'il évoque la Tragédie de la Commune, il n'a aucun à priori sympathique pour les lettrés Goncourt dont il juge qu'ils auraient mérité un autre sort, eux qui ont tant insulté les Communards, le peuple de Paris et dont les descendants partagent le constitutif et ontologique mépris. Il est vrai que nous attendons toujours que M. Onfray prenne en compte ces réalités historiques complexes et difficiles, mais s'il doit le faire avec la légéreté intellectuelle de son livre élégiaque en faveur de Charlotte Corday, il faut lui conseiller de s'abstenir de plaider contre lui-même. Quant à la fin, elle est abjecte : Sartre aurait fait l'éloge des officiers allemands si gentils et critiquer les cheminots pour leur zèle dans le métier. Pas un mot de M. Onfray sur la collaboration et les collaborateurs, sur la Résistance, RIEN. Sartre n'a pas écrit une Bible dont il faudrait lire des parties en faisant de l'exégèse religieuse, n'a pas énonçé une "Révélation" athée, et il a toujours considéré que tout était discutable, devait être discuté, dans sa passion pour le dialogue. M. Onfray pontifie, mais ne dialogue pas - c'est ainsi qu'il fonctionne dans l'Université Populaire : propos magistral, et, bonsoir. En effet, dans ces conditions, forcément provisoires, mon choix est fait.