On entre dans cette oeuvre d’Apichatpong Weerasethakul, comme on entrerait en lieu saint : bercé par le silence, hypnotisé par la lumière crépusculaire, hanté par des figures merveilleuses, de fables thaïlandaises et de mondes obscurs. Du récit initial (le lent et poétique voyage d’un homme malade vers la mort), on ne retiendra que les sensations : celles, d’une douceur infinie, qui côtoient fantômes, singe et poisson chat, flirtent avec bouddhisme et animisme, offrent quiétude et accalmie pour panser des gouffres d’horreur : les peurs intimes et les spectres inquiétants liés à la mort. D’un coup de baguette magique, le cinéaste balaye les angoisses de la fin, livrant un cinéma expérimental, qui foisonne d’idées, de sensibilité, de symbolismes. Un cinéma qui réconcilie, surtout. Avec les intentions du réalisateur d’abord (Blissfully yours, Tropical Malady), souvent taxé d’ennuyeux. Avec les tourments du monde des vivants ensuite.
La parenthèse, en forme d’errance spirituelle, permet au personnage d’embrasser sereinement l’idée de la mort, non comme fin en soi, mais comme commencement, basculement dans un nouvel état de conscience. Pour éviter lourdeur et lieux communs, il fallait bien toute la radicalité évanescente de Weerasethakul qui convoque le mystérieux, le féérique, l’inexplicable afin d’écraser la rationalité par des sons et des images. Le sujet est sombre, le traitement- lui- fait preuve d’un optimisme surréaliste, porté par un souffle de vie incroyable, entre âme et karma, résurrection et fantasmes oniriques. Chez l’Oncle Boonmee, la mort est joyeuse, s’étreint avec amour, permet apaisement et orgasme, guérison des cœurs et envolées des corps- une grotte maternelle comme tombeau, et, les défunts en protecteurs. Le film est une bulle : légère, aérienne, qui dodeline et console, jamais hermétique, parfaitement universelle, qui s’élève et termine sa course, éclatant sans un bruit, quelque part au pays des merveilles. Normal que Burton, président du jury cannois cette année-là, y ait succombé.
PALME D’OR – CANNES 2010