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Transat Bermudes - Açores

Par Crapulax

P1020916Notre timing était juste parfait. Arrivés aux Bermudes le 14 avril, Guillaume a pu prendre un avion le lendemain pour New York. A peine retardé par DSK, intercepté dans l'avion par la police américaine, il a pu honorer son rendez-vous du lundi à Paris. Bernard et moi nous retrouvons donc à deux, comme d'habitude le plus souvent depuis presque un an. Repos bien-sûr, comme toujours après quelques jours de mer, un peu de bricole, en l'occurence coutures et envoyer la GV chez ocean sails pour révision, administratif divers en souffrance et puis en profiter. Rien que de très classique.

Les très british Bermudes constituent une transition parfaite entre tropiques et Europe. Quand il y fait gris et frais, qu'on se couvre, on se croirait dans une anglo-normande, genre Jersey. Lorsque le vent se calme, que le ciel se découvre et que les fonds deviennent émeraude sous le soleil, l'union Jack paraît nettement moins à sa place. St Georges, notre mouillage et port d'entrée, est le coeur historique des

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Bermudes, les deux autres villes de l'île ont chacun leur caractère bien trempé. Dockyard est un ancien complexe militaire fortifié et austère du temps où les britanniques esseulés défendaient leur île contre espagnols, français et américains. Quant à Hamilton, la capitale, c'est une vraie ville active, centre des services financiers offshore qui font la richesse de l'île. Tout comme aux Bahamas, en version plus éveilles, les habitants sont charmants et liant, à vous saluer systématiquement.

La plupart des yachts qui mouillent à St Georges sont assez impressionants: maxis, Swan ou Oyster rutilants convoyés par des équipages pros vers les US ou vers l'Europe pour des propriétaires fortunés. Les vagabonds des mers sont ici très minoritaires et les 47 pieds de Galapiat paraissent minuscules en comparaison des voisins. Parfois quelques olibrius très british sur une coquille de noix constituent l'exception. Ceci dit, à part quelques snobs, l'ambiance du « white horse » le soir est détendue. On y fait facilement connaissance et sinon, il y a toujours la possibilité de

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s'encanailler au yacht club, nettement moins classe et presque exclusivement fréquenté par des locaux.

La météo est bizarre mais on ne tergiverse pas trop: La GV et prête le 19 au matin et une fois remise en place, courses faites, nous levons l'ancre par un agréable 10-12 noeuds au près, en compagnie de quelques autres voiliers avec lesquels on se tire la bourre jusqu'au soir. C'est donc reparti pour une quinzaine de mer et 1700 milles en route directe, significativement plus si on opte pour une route nord, normalement plus ventée et rapide.

Les trois premiers jours sont parfaits. Sur le cap, on se chauffe au près avec 140 milles le premier jour, on prend ses aises de travers le second avec 160 et on s'éclate au débridé à 190 le troisième. Je me prend à rêver d'une transat simple et rapide mais quand je prends la météo le matin du quatrième jour, il est clair que la belle vie tire à sa

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fin. Deux depressions, deux anticyclones, nous au milieu. Le ciel a d'ailleurs déjà bien changé. La ligne de grain progresse derrière nous, on va se la prendre et ensuite, ce sera merdique. Accélération, 30 noeuds, averses drues. Pas trop méchant, ça passe en quelques heures. On traîne toujours une ligne mais je ne crois plus guère à la pêche au nord du tropique du Cancer. Ça tape une fois mais c'est un gros marlin, pas content, que Bernard a vu sauter dans notre sillage, et qui a tout cassé. Hors catégorie celui-là. Au loin, de grosses bêtes sautent, baleines ou orques. Plus tard des ailerons noirs, effilés et hauts se profilent: des orques. Je ne tiens pas à les voir s'approcher car si seaworld, « sauver willy » et les peluches pour enfants, ont popularisé ces bestiaux, en réalité, ce sont de sales bêtes, violentes et aggressives, capables de couler un voilier si la couleur de l'antifouling ne leur revient pas. Ils se rapprochent mais passent dans notre sillage.

Nous rattrapons un voilier. On discute un peu à la VHF. Il est parti un jour avant nous et on lui a donc mis une journée

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dans la vue en quatre jours. C'est stupide mais ça me fait plaisir. Sans surprise, la pétole succède aux grains, et nous lançons le moteur pour la première fois depuis le départ pour une dizaine d'heure. Avant que le vent ne reprenne, sud-est. Nous revoici au près pour un bon moment, cette fois-ci dans la zone d'influence de l'Anticyclone des Açores. Ce fameux système mentionné presque chaque soir à la TV par madame météo est le poumon de l'atlantique nord. C'est lui, au nord, qui en fonction de sa position et de son développement, permettra de bloquer les dépressions afin qu'il fasse beau à Paris. C'est également lui, au sud, qui génère les alizés exploités pour la plus classique des transats entre Afrique et Antilles. Un monsieur important donc, à surveiller attentivement. Si la transat des alizés est assez basique en terme de navigation, tout droit vers les antilles en gros, le retour vers l'Europe est nettement plus intéressante. En fonction de l'emplacement de l'Anticyclone et des dépressions du nord, on peut en effet opter pour différentes options plus ou moins radicales. La tactique habituelle pour aller vite à la voile consiste à monter bien haut en latitude, plus haut que les îles au 38 ème, passer au nord du système et bénéficier des vents d'ouest, avec en bonus quelques coups de vents. C'est la route que nous avions suivi avec Jim et Jérôme en 2008 au retour du Panama. C'était frais, humide mais diablement efficace.

Cette année malheureusement, l'anticyclone n'est pas à sa place habituelle, si « habituelle » veut encore dire quelques choses vu que les grands flux saisonniers obsérvés depuis des siècles tendent de plus en plus à devenir errratiques ces dernières années. Il est nettement trop au nord. Pour espérer toucher du vent portant, il faudrait monter au delà du 45 eme puis redescendre ensuite. Un détour d'au moins 500 milles au rendement douteux. A part ça, au sud du système, le vent est dans le nez et tout droit, c'est une longue zone sans vent. Alors quoi?

Dans l'immédiat, on continue ainsi, au plus près du vent, nord-est, à faire de la route utile tout en gagnant au nord bien que nous ayons déjà déjà dépas

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sé la latitude des Açores. Avec une douzaine de noeuds au près sur une mer décidément bien calme depuis le départ, c'est une vraie croisière pour pépé. Le bateau file comfortablement ses 140 – 150 milles par jour. C'est tellement tranquille sur un océan peu fréquenté que celui qui est de quart la nuit passe plus de temps à bouquiner à l'intérieur qu'à veiller au bateau. Un 360° visuel à l'extérieur toutes les demi-heures au cas où, et puis retour au chaud. La journée, on bulle, lit beaucoup. Le frais est arrivé à son terme et notre inspiration culinaire commence à trouver ses limites. Mon innovation majeure de ces derniers temps: banane plantain-chorizo, initiée entre Cuba et les Bahamas, ne trouve même pas grâce aux yeux de Bernard. Sans pêche, la monotonie alimentaire nous guette. Le flux est régulier, le bateau marche tout seul et ne nécessite pas de bricole particulière. Bernard s'entraîne au flipper sur son PC et m'a lancé un défi. Les parties font rage En bref, on n'est pas vraiment débordés même si le près gité use quand même un peu à force.

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Nous prenons la météo tous les deux jours mais la situation actuelle semble durablemnt installée. Le baromètre grimpe en flèche à mesure que nous nous rapprochons du centre des hautes pressions et le vent faiblit irrémédiablement. La nuit du neuvième jour, après avoir exploité le dernier souffle, pas d'autre choix que de relancer le moteur. Je suis un peu soucieux car il reste plus de 600 milles à faire d'ici Horta et vu la prix prohibitif du carburant aux Bermudes, mes estimations soit-disant savantes du départ, et la flemme d'aller à la pompe, j'ai fait l'impasse sur le plein de gas-oil. J'en ai encore 250 litres mais quand on a un tank de 600, c'est un peu la honte de se poser des questions d'autonomie pour arriver à destination au cas où le calme persisterait. Pendant les quatre jours suivants, nous alternons entre un peu de moteur et la voile dès que le vent faible, jamais plus de 10 noeuds, permet de les porter. Le score du flipper monte de jour en jour. Après avoir un temps été écrasé par les 7 millions de Bernard, je viens de friser les 9 à l'issue d'une partie magnifique et espère bien être désormais hors de portée d'ici les Açores, d'autant que avec le retour bienvenu de la brise au près, nos parties devraient s'espacer.
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Cette partie de l'Atlantique est décidément peuplée de grosses bêtes. Pourtant, entre les températures frisquettes, la lecture et le flipper, nous ne sommes pas ultra attentifs. Le 28, deux Orques à 50 mètres du bateau; le lendemain, par calme plat, un cachalot saute par deux fois à quelques centaines de mètres. Nous le repèrons à son souffle et nous déroutons pour nous en rapprocher. Il est assez modeste, la taille du bateau quand même. Pas curieux, ni joueur – Les cachalots sont connus pour être nettement moins fréquentables que les baleines - après quelques minutes bord à bord, il disparaît. Nous le revoyons un peu plus loin, le rejoignons à nouveau avant qu'il ne sonde. Il fait un temps superbe. Pour la première fois depuis le départ, nous avons quitté pantalons et polaires pour shorts et tee-shirts, torse-nu même pendant les heures les plus chaudes. C'est devenu rare depuis les Bahamas. Je suis surpris par la couleur de ma peau et de celle de Bernard: On est presque redevenus des blancs becs.

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Monter en latitude et progresser vers l'est dans l'hémisphère nord à l'approche du solstice d'été rallonge doublement les jours. A horaire constant, on ne s'en aperçoit pas trop le soir car l'augmentation des heures diurnes gagnées en latitude compense à peu près la perte au fur à mesure que l'on avance vers l'est. En heure « bateau », le soleil se couche toujours vers 20 heures mais se lève chaque matin nettement plus tôt que la veille. Nous rajoutons une heure à l'horloge du bord à mi-route puis, à 300 milles des îles environ, quand le soleil s'acharne à vouloir se lever vers 4 heures, deux heures de plus d'un coup pour nous aligner sur le fuseau des Açores. Après deux ans passés à proximité de l'équateur, où les journées durent 12 heures environ tout au long de l'année, je me réhabitue aux longues soirées d'été en zone tempérée. Les couchers de soleil sont également très différents, nettement plus prolongés que sous les tropiques où la nuit survient brutalement. Cette transat me donne un peu le sentiment de vivre le passage des saisons en rythme accéléré, sur une dizaine de jours plutôt qu'en plusieurs mois.

D'un point de vue strictement technique, les heures de soleil supplémentaires sont les bienvenues: une des batteries de service qui donnait des signes de fatigue depuis les Antilles est définitivement dans le sac. Avec une capacité réduite à 200 Amp, lorsque le ciel est gris, que les panneaux chargent peu et que le vent est trop fort pour faire tourner l'éolienne, le jus devient limite la nuit sous voile au bout de quelque jours. Je ne maintiens plus que le pilote, les feux de navs et le GPS. PC et éclairage du bord sont désormais prohibés.

D'après les prévisions, à l'approche des îles, l'anticyclone perd en vigueur Effectivement, le 31, le vent reprend, orienté sud avec tendance à passer progressivement sud-est au fur et à mesure de l'arrivée d'une dépression. Nous sommes quasiment au 42ème N, soit plus de 200 milles au nord de Horta et Il est plus que temps de filer au plus sud si on veut éviter de tirer des bords sur la fin. Retour au près serré donc à gratter quelques degrès de marge en espérant ne pas s'y être pris trop tard. Après 10 jours de mer dans des conditions clémentes pour troisième âge, il faut se réhabituer à un peu d'action. Brise d'une vingtaine de noeuds au près serré, on roule le génois et envoie trinquette et yankee pour gagner en cap et vitesse. La mer reste étonamment peu formée, même si ça mouille et secoue un peu dans un gros clapot, l'ensemble reste assez comfortable. C

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e segment à cette période est décidément bien différent de 2008. La moindre coquille de noix menée par un equipage de bizuths ne s'y trouvera jamais en difficulté.

Dans l'après-midi du 2 Juin, à pourtant encore 45 milles de Faial, on devine les îles aux nuages qui s'y accrochent, puis le sommet de Pico, à 2300 mètres d'altitude apparaît au loin. Galapiat trace dur mais un rapide calcul ne laisse guère espérer être amarrés avant 2 heure du matin, trop tard pour aller prendre une bière chez Peter. L'arrivée de nuit est superbe, lumières de l'île que l'on longe par son sud, la masse sombre de la lugubre Caldeira do Inferno à l'extremité sud-est, juste avant le canal entre Faila et Pico et le port de Horta. Oh, oh, plusieurs bateaux au mouillage laissent présager une marina plus que pleine. Effectivement, à l'approche du quai des douanes, les voiliers se succèdent les uns derrière les autres, à couple sur 3 à 4 rangées. On s'y rajoute sans trop se poser de question. C'est une bonne position car dernier arrivé, premier parti. Je suis un des premiers à faire les papiers d'entrée à l'ouverture des bureaux le matin et on me déniche une place dans le port plus qu'encombré, à nouveau à couple sur plusieurs rangées. Content de revenir à Horta à l'issue de ces 14 jours de mer, presque trois ans jour pour jour après mon premier passage.


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