Baba Ramdev est un gourou indien, acharné partisan du yoga, qui
fait beaucoup parler de lui en ce moment car il va entamer une grève de la faim pour faire aboutir ses revendications, un mouvement qui s’inscrit dans la lutte que mène l’activiste social Anna
Hazare avec la Lokpal Bill (loi anti corruption). Deux raisons nous amènent à vous parler de ce gourou. La première est qu’il est vraiment très connu en Inde et que des millions d’indiens se
réclament de lui ; son influence est réelle. La seconde raison est que les thèmes qui sont chers à ce gourou sont parfois incompréhensibles pour nous car se nourrissant d’un nationalisme
forcené.
Le moins que l’on puisse dire est que ce personnage est complexe. L’influence qu’il exerce révèle cependant l’Inde profonde partagée entre des sentiments nobles et les vieilles tentations archaïques du nationalisme, un nationalisme bien ancré dans l’hindouisme.
Commençons par la vie de Baba Ramdev.
Né en 1965, on dit qu’il a fortement été inspiré par les portraits de Ram Prasad Bismil (nationaliste indien pendu par les britanniques en 1927) et de Chandra Bose (un autre nationaliste indien qui fit allégeance aux nazis durant le deuxième guerre mondiale), portraits qui étaient dans sa chambre.
Baba Ramdev se lance très tôt dans l’étude du yoga qui est aujourd’hui le centre de son action. Il fonde en 2003 le Divya Yog Mandir Trust qui fait la promotion du yoga et vend des plantes médicinales. C’est dans ce cadre qu’il anime des émissions de télévision consacrées au yoga. Son action de « popularisation » du yoga fait dire au New York Times qu’il a bâti l’empire du yoga.
Il créée également un centre de soins gigantesque qui offre des soins gratuits à ceux qui n’ont pas les moyens de se faire soigner ailleurs. Il publie aussi un journal en 11 langues qui a plus d’un million de lecteurs.
Baba Ramdev n’a pas d’ambitions politiques mais il veut intervenir dans la vie publique et notamment dans la gouvernance politique ; à ce titre, il s’exprime régulièrement. Il a lancé un mouvement appelé le Bharat Swabhiman (Swabhiman pouvant se traduire par self-respect, le nom du mouvement se traduisant par « l’Inde qui se respecte »). Ce mouvement poursuit cinq objectifs : 100% de participation aux votes, 100% de pensées nationalistes, 100% de boycott des entreprises étrangères, 100% d’unité nationale et 100% de nation fondée sur le yoga (yoga-oriented nation).
Mais surtout, ce mouvement part en guerre
contre l’arge nt sale et la
corruption. Dans les camps de yoga qu’il organise partout on parle aussi de nourriture. Il fait la guerre au fast-food et aux soft-drinks (dont bien sûr Coca-Cola) en disant que ces soft-drinks
ne sont bons que comme produits pour nettoyer les toilettes. Il a l’art des formules choc comme : « Ne transférons pas la santé des indiens aux compagnies multinationales ». Il se
bat aussi contre l’utilisation des engrais chimiques et défend l’idée que l’agriculture est le secteur économique le plus important.
Il se bat également pour que les cours d’éducation sexuelle à l’école soient remplacés par des cours de yoga. Lorsque l’Inde a décriminalisé l’homosexualité en 2009, Baba Ramdev a déclaré que les homosexuels étaient des malades et qu’il fallait les soigner ; il a ajouté : « Nous sommes des aveugles pour suivre ainsi tout ce qui vient de l’Occident ».
En ce qui concerne la lutte contre la corruption, il faut reconnaître que Baba Ramdev est l’une des voix les plus actives. C’est à ce titre qu’il soutient Anna Hazare.
En février dernier il a fait connaître ses propositions pour lutter contre l’argent sale (et la corruption) : retrait de la circulation des billets de Rs. 500 et Rs. 1000, signature de la convention de l’ONU contre la corruption (qui attend la signature de l’Inde depuis 2006), instauration de la peine de mort pour les corrompus, examen des comptes bancaires des personnes qui ont des cartes de crédit de banques étrangères, interdiction de travailler avec les paradis fiscaux.
Son objectif est de rapatrier en Inde l’argent sale des indiens qui se trouvent dans des banques à l’étranger et de bâtir une Inde spirituelle.
D’où sa grève de la faim qui risque d’être suivie par des centaines de disciples en Inde. Le premier ministre lui a écrit pour lui demander de renoncer à cette action, mais Baba Ramdev n’a pas cédé. Il a déclaré qu’il maintenait toutes ses revendications qui comprennent, outre celles rappelées plus haut : instauration d’une Lokpal Bill plus sévère (peine de mort) surtout pour les fonctionnaires et les hommes politiques corrompus, remplacer le système administratif hérité des anglais par un système indien (mais on ne sait pas très bien ce que cela veut dire), réformer le code électoral pour que le premier ministre soit élu au suffrage universel direct, augmenter les subventions des denrées agricoles de première nécessité, abolition de la loi sur l’acquisition des terres (afin de protéger les fermiers), promouvoir l’hindi au lieu de l’anglais.
On le voit, la lutte contre la corruption prend, avec Baba Ramdev, une tournure beaucoup plus nationaliste. Toujours est-il que ces récents événements auront un impact considérable dans l’opinion et que ce nouveau courant d’influence, parce qu’il échappe assez largement à la sphère des partis politiques, inspire une grande inquiétude au gouvernement et à la classe politique.
Mais que se cache-t-il derrière tout cela ?
Baba Ramdev compte environ 2 millions de disciples ce qui est peu à
l’é chelle du pays. Sauf que ces disciples sont, pour
beaucoup d’entre eux, des membres du RSS ce mouvement qui est lié au parti politique BJB qui incarne la droite nationaliste hindoue. Et si le gouvernement a peur (sinon il n’aurait pas envoyé 4
ministres l’accueillir à l’aéroport de Delhi il y a deux jours) c’est parce qu’il sait que les disciples de Ramdev sont organisés et savent mener des actions visibles et médiatiques. Et hier
vendredi, les deux poids lourds du gouvernement, les ministres des finances et de l’intérieur, ont annulé leurs rendez-vous pour tenter une dernière médiation pendant deux heures.
Beaucoup d’indiens considèrent aussi que Baba Ramdev n’est pas forcément quelqu’un de 100% recommandable ; des soupçons pèsent sur l’origine des sommes reçues par ses fondations.
De fait on sent bien que le monde des gourous est décidemment bien opaque.
Quoiqu’il en soit, l’Inde est sensible à la corde qui fait vibrer ses racines et l’action de Baba Ramdev montre que le courant nationaliste hindou rejoint la lutte contre la corruption.
Sur ce sujet de la Lokpal Bill, le paysage risque d’être fort animé pendant les jours et semaines à venir.
Hemant Morparia nous envoie ce matin ce très bon dessin; enema en anglais veut dire lavement (lavement d'estomac).