Les voies de la télévision étant impénétrables (ou hautement stratégiques), les droits de The Borgias version Showtime ont été achetés, en France, par Canal +, laquelle doit nous proposer prochainement sa propre fiction sur le sujet, sobrement intitulée Borgia, signée Tom Fontana. Une façon d'éviter tout parasitage entre deux projets qui seront fatalement forcément comparés. Reste à déterminer comment traiter ce sujet a priori pimenté, mais auquel il faut savoir donner une consistance sur le long terme d'une, voire plusieurs saisons. En un sens, il y a presque trois décennies, la BBC avait déjà montré les écueils sur lesquels il était facile de s'échouer en s'attaquant à l'histoire d'une telle famille sur cette toile de fond italienne déchirée de la fin du XVe siècle.
Après les dix épisodes qui comportaient cette première saison, il est cependant temps de dresser un premier bilan, alors que la série a d'ores et déjà été renouvelée. J'ai suivi l'ensemble presque sans décalage, ce qui, en soit, plaide en faveur de The Borgias vu mes retards accumulés au cours du mois de mai. Pour autant, cette saison est loin d'avoir été exempte de défauts. L'enthousiasme des débuts a laissé placer à pas mal de frustrations, engendrées par des maladresses structurelles, caractéristiques d'une insuffisance d'ambition scénaristique assez dommageable. Pour autant, tout n'est pas à renier dans The Borgias ; et je pense suivre la saison 2.
Cette première saison est construite sur des bases narratives très académiques a priori efficaces. Elle propose un grand arc qui va sceller la confirmation de l'ascension des Borgias : de l'élection d'Alexandre VI jusqu'à une confrontation finale, face aux Français et au cardinal Della Rovore, que le pape, par une ultime manipulation et un dernier retournement, parvient à surmonter. Cependant c'est peu dire que la série aura pris des chemins parfois trop détournés pour nous narrer cette lutte de pouvoirs, cédant aisément à la facilité des mises en scène amoureuses trop creuses et déconnectées des réels enjeux. Le milieu de saison est un cap difficile à passer, tant le rythme de la série se ralentit au profit d'ébats un peu vains. Peut-être dix épisodes constituaient-ils une durée encore trop longue pour l'histoire envisagée, huit épisodes auraient sans doute suffi.
Pourtant, on souhaiterait pardonner aux Borgias bien des soubressauts qualitatifs en raison de l'attrait que suscite le sujet traité. Parce que se laisser entraîner dans la géopolitique complexe de l'Italie éclatée en royaumes de l'époque a quelque chose d'assez grisant. Parce que, par éclipse, cette carte postale colorée qui nous est dépeinte laisse transparaître tout son potentiel ; mais les scénaristes ne sauront jamais prendre la mesure de ce tableau déchiré. En effet, dans ces jeux de pouvoirs létaux, The Borgias reste trop souvent dans le registre du folklore historique. Au-delà de quelques éclairs, poignée de dialogues qui sonnent justes et qui maintiendront toujours ce relatif espoir de voir la série aller au bout de son idée, les Médicis ou Machiavel resteront ces figures historiques, inhérentes au cahier des charges, mais traitées de façon caricaturale et distante, sans jamais vraiment trouver leur place. Cela donne à la mise en scène un côté un peu artificiel qui frustre les attentes du téléspectateur.
Au fond, le problème principal de ces Borgias-là est un manque d'ambition et de vision de scénaristes archeboutés sur un concept qui leur a paru plus prudent de magnifier visuellement et esthétiquement, qu'en s'appropriant véritablement une histoire dont la complexité pouvait vite égarer. Pour autant, si ce sont mes regrets qui s'expriment par ces quelques lignes teintées d'amertume, il serait excessif de nier les atouts d'un série qui peut s'apprécier sur certains points. Certes l'intrigue politique et militaire qui amène à l'appel aux Français reste par trop linéaire, mais elle constitue cependant un fil rouge qui n'est pas déplaisant à suivre.
Mais au-delà de ce faste romain, la véritable force de cette fiction est ailleurs. C'est finalement par ses personnage que The Borgias a su retenir mon attention jusqu'au bout. S'ils ne sont pas toujours écrits de la manière la plus subtile qui soit, ils ont su plus sûrement que tout le reste m'impliquer dans leur destinée et les choix qu'ils ont pu faire. Car The Borgias est peut-être avant tout cela : une série sur l'ascension au sommet, ou plutôt, la survie d'une famille au sein de laquelle le patriarche nourrit suffisamment d'ambitions pour tous ses membres.
Chacun des protagonistes semble porté par ses propres ambivalences et ses paradoxes. Les rapports d'Alexandre VI à sa fonction demeurent aléatoires, profondément empreints d'une piété soudaine devant la charge qu'il occupe, mais n'hésitant jamais à faire preuve d'un pragmatisme et ne reculant devant aucune manipulation. Il aménage une forme de coexistence entre sa foi et une hypocrisie inhérente à ses choix qui rend le personnage difficile à cerner. De même, sa vision de sa famille oscille entre une finalité purement utilitariste et l'expression de sentiments paternels qui ne transparaissent qu'exceptionnellement. Ses rapports ambivalents avec Cesare constituent d'ailleurs une des dynamiques narratives les plus consistantes de la saison.
La frustration de ce dernier, confiné dans cette fonction d'homme d'église qu'il n'est pas, ne cesse de grandir, le conduisant peut-être encore plus sûrement vers cette voie sombre où il commandite sans sourciller des assassinats. Les sentiments guident pourtant toujours des actions qu'il exécute par contraste avec réel un sang froid : c'est une loyauté ou une dévotion envers ses points cardinaux qui le déterminent : sa famille, sa soeur, puis la belle Ursula. Le personnage qui évoluera le plus au cours de la saison sera incontestablement Lucrezia, l'adolescente chérie gâtée des débuts deviendra femme, les épreuves la fortifiant et lui faisant découvrir ce pragmatisme amoral qui n'est rien d'autre que l'instinct de survie dans cette société où, de par son statut, elle est contrainte d'évoluer. Et que dire de Juan, dont les désillusions de grandeur, ne font que le précipiter plus durement vers un douloureux retour à la réalité, les fanfaronnades ne suffisant plus lorsque la réelle lutte commence ?
S'ils se déchirent entre eux de la plus intime et cruelle des façons, se faisant souffrir tant par leurs natures différentes que par leurs caractères propres, ils demeurent unis dans l'adversité de cette Italie qui rêve de les voir déchus. C'est sans doute ici que se trouve la fascination que peut exercer la série : c'est dans ces convergences d'intérêts, dans ces loyautés troublées mais qui demeurent scellées par un amour familial qui nous transporte parfois aux confins d'une morale qui n'a de toute façon pas de place en ces milieux. The Borgias n'est finalement pas tant une série sur le pouvoir, qu'une série sur une famille confrontée au pouvoir. Et c'est peut-être en admettant cela qu'elle peut s'apprécier en dépit des limites qu'elle manifeste dans les autres registres.
Enfin, le casting n'aura pas dépareillé pour finalement parvenir à humaniser cette fresque historique. Tout en imposant une présence incontournable dans chacune de ses scènes, Jeremy Irons aura parfois un peu trop cédé aux paradoxes de son personnage. Les bonnes surprises sont venues de ceux incarnant ses enfants : le charmant François Arnaud (Yamaska) - le seul que je ne connaissais pas et qui restera pour moi la révélation de cette première saison - et Holliday Grainger (Demons, Above suspicion, Any human heart), mais aussi David Oakes (Les Piliers de la Terre) même s'il dispose d'un temps d'écran un peu moindre, surent parfaitement refléter les ambivalences, comme l'intensité des désirs, de ces figures qui ne sont pas maîtresses de leur destin.
Bilan : Si la première saison de The Borgias manque d'homogénéité, si les tenants et aboutissants politiques et militaires des jeux de pouvoirs italiens de la fin du XVe siècle ne seront jamais pleinement maîtrisés, la série va cependant se découvrir au fil des épisodes une autre force qui permettra au téléspectateur de lui pardonner bien des limites. Car c'est dans la dimension humaine qu'elle développe, dans ces rapports familiaux ambivalents, scellés par l'instinct de survie plus que par le sang, que va naître un attachement à cette série. La scène finale, qui peut surprendre au vu des épreuves traversées, consacre finalement cette approche plus humaine qui est celle dans laquelle The Borgias s'épanouit le mieux.
NOTE : 6,25/10
Le générique :
La bande-annonce de la série :