L’Education Nationale, saison 2010-2011, nous propose de jolies bourdes d’un gabarit national, avec conséquences graves et retentissement dans la presse. Le drapé est fluide, la coupe moderne, les matières variées et les coloris toujours choisis dans une vaste palette. Ce sont des bourdes bien lourdes et bien pesantes, qui permettent de se tenir au chaud sans toutefois empêcher les mouvements des corps. Et lors des défilés en fin d’années, le catwalk des mannequins affublés de cette nouvelle collection nous aura offert deux saltos avant avec membres éparpillés et explosion finale.
C’est le 24 mai dernier qu’on apprend donc, stupéfait, que le texte proposé à l’épreuve d’histoire médiévale était un pastiche.
Le jury du concours d’agrégation a donc proposé pour l’épreuve l’extrait d’un journal, datant de 1415, d’un participant au concile de Constance. Manque de pot ou léger manque de rigueur de la part du jury, le texte était en fait de Palémon Glorieux, un historien belge, publié en 1964.
Jusque là, c’est consternant.
Mais le plus savoureux, c’est la réaction de l’Education Nationale : le concours se poursuivra normalement. On ne changera rien. Comme l’égalité de traitement n’a pas été rompue entre les candidats, même si on leur a fait travailler sur un texte joliment écrit … mais fondamentalement faux, ce n’est pas grave, on ne changera rien. Le ministère, un peu gêné mais pas trop tout de même, reconnait que cette pratique «est peu conforme aux usages scientifiques».
Moui. Ce serait presque comme — par exemple — utiliser les rapports vagues et flous d’étudiants pour extrapoler un réchauffement de l’Himalaya et pousser le rapport obtenu dans une collection de bricolages thermiques douteux qu’on présentera ensuite comme un vrai travail scientifique essentiel qui présidera à la destinée de l’humanité. Et pouf.
Je dis presque puisqu’en l’occurrence, le Palémon Glorieux n’a jamais prétendu que son texte était authentique, et qu’il a réalisé un travail que tous les historiens trouvent honnête pour présenter les connaissances raisonnables sur le concile de Constance (et la fin du grand schisme d’Occident) ; mais justement : cette vérification de la source du document était tout de même élémentaire et on s’étonne de la légèreté avec laquelle ce concours a été organisé…
Et cette légèreté rejoint justement la deuxième magnifique bourde, toujours de l’EdNat, et dans le domaine médical à présent : suite à une pelleté d’erreurs dans le concours de l’internat, l’épreuve a été annulée. Deux fois. Enfin, disons qu’il y a eu des fuites, des erreurs, des annulations. Et des élèves qui commencent à trouver tout ça très légèrement agaçant.
Reprenons : mercredi, les carabins passent donc la dernière épreuve pour l’internat, la plus difficile, consistant à faire le résumé et l’analyse critique d’un texte scientifique. Au cours des trois heures, dans un texte traduit de l’anglais, de nombreuses erreurs leur sont signalées. Gribouillages et ratures s’accumulent. Dans certains centres, l’impossibilité d’utiliser des stylos correcteurs provoque la grogne puisque la présentation (dégueulasse à force de ratures) est comptée dans le barème. Zut et flûte.
Heureusement, à cinq minutes de la fin, l’épreuve est annulée, après 2H55 de travail acharné et de rafistolage des bavouseries. Elle est donc reportée l’après-midi, sur un nouveau texte.
Las. Tous les centres d’examens n’avaient pas prévus assez de papier brouillon. S’en suit un décalage entre certains qui prennent connaissance de la page de garde du concours pendant que d’autres attendent sagement le papier qui n’arrive pas. iPhone aidants, certains disposeront donc du sujet avant d’avoir commencé à travailler sur l’épreuve, et, mieux encore, après quelques secondes de recherches sur Internet, du résumé et de l’analyse du texte en question.
Magie de l’informatique et bilan évident : cette épreuve au moins, voire l’ensemble du concours, devra être annulée à nouveau.
Au passage, on pourra relever qu’en tout cas, certains futurs praticiens auront le réflexe d’aller se renseigner sur internet ; il est loin le temps où l’information médicale voyageait lentement, d’opuscules poussiéreux en colloques espacés, en voyages et séminaires pas toujours productifs. Au moins, pour ceux qui n’hésiteront pas à utiliser la puissance du réseau mondial, la médecine aura tous les jours ce petit parfum de découverte…
Un peu comme les surveillants d’épreuves de l’EdNat et les divers jurys : il ne se passe en effet plus une année, maintenant, sans qu’un concours majeur soit annulé, à refaire ou entaché de doutes sur sa régularité.
C’est normal, du reste. Le niveau d’exigence et d’attention des fonctionnaires de la vénérable institution baisse tous les jours, et pour une raison bien simple : la génération qui est maintenant en train de prendre, lentement, possession des institutions et des outils de la République, c’est la génération qui a été élevée, de bout en bout, par cette génération qui est en train, actuellement, de partir en retraite.
Eh oui : les journalistes qu’on entend de plus en plus, les politiciens qui montent, les profs qui enseignent, les administrateurs de ces concours, une part des jurys sont ces générations qui ont appris à lhire, ékrir et compté avec les nouvelles méthodes innovantes qui ont fleuri dans les années 70, 80 et 90.
Le niveau d’exigence de qualité d’un travail est exactement celui qu’on leur a demandé lorsqu’ils frottaient leurs culottes sur les bancs de la république, devant ces profs qui, actuellement, prennent leur retraite après avoir enseigné les vraies bonnes valeurs de mai 68 et autres gâteries collectivistes et gentillettes dont on connaît la force de persuasion.
Le ratage magistral de ces concours pourraient passer pour une péripétie anodine.
Le fait que ce soit de plus en plus fréquent, que la qualité du travail fourni par les institutions républicaines soit de plus en plus basse, le fait que tous les jours, maintenant, des incidents perturbent les postes, les services sociaux, la RATP, la SNCF, tout cela ne doit rien au hasard.
C’est bien sûr le résultat évident d’une déliquescence avancée, d’un état calamiteux des finances du pays : les dettes se sont accumulées à tel point qu’il n’y a dans les caisses de l’Etat que misère et courants d’air.
Mais c’est aussi le résultat concret d’un état d’esprit des gens qui forment ces services dans lesquels on ne rentre plus du tout parce qu’on a, quelque part, la fibre sociale, mais bien parce qu’on sait qu’il y est bien plus doux d’y vivre qu’ailleurs. Parce que la qualité n’est plus au rendez-vous et qu’honnêtement, tout le monde s’en fiche. Parce que l’exigence morale, interne, personnelle, d’un travail bien fait n’existe plus. Parce que, tout simplement, la génération qui doit faire le boulot, maintenant, n’a jamais vu, réellement, la génération précédente se défoncer la couenne sur le travail.
Et les affaires lamentables qui secouent la classe politique actuellement illustrent à merveille le total mépris pour les Français d’une certaine caste entraînée à ce comportement par la génération précédente, la génération Mitterrand puis Chirac.
La morale ? Laquelle ? Jamais vue !
Ce pays est foutu et pas seulement sur le plan financier, économique, ça, c’est une évidence lorsqu’on regarde les chiffres, affolants — même en regardant le BIB, on écarquille les yeux.
Ce pays est foutu aussi et principalement parce que ses institutions sont gangrenées, et parce que la génération qui, actuellement, doit prendre la relève dans ces institutions est moralement à la ramasse, avec des étalons de qualité si viciés, si rikikis qu’on a bien du mal à y trouver autre chose qu’une bande de branleurs mous, dilettantes et jouisseurs, dont le but, avant la titularisation, est de relancer le bastringue version Che Guevara (#frenchrevolution, anyone ?), et après celle-ci, de se laisser couler doucement vers la retraite (qu’ils refusent de payer, au passage).
Les années qui viennent vont être plus que cahoteuses. Elles seront … soviétiques.