Jacob Tierney s'est d'abord fait connaître par un coup de gueule il y a deux ans.
Il s'agit de ce réalisateur qui a affirmé que le cinéma, mais surtout la télé de Montréal, ne représentait en rien la diversité de la langue qui se trouve dans cette ville. Ces propos exacts étaient:
"la société québécoise est extrêmement tournée sur elle-même et ignore les anglophones et les immigrants".
Il n'avait pas tout à fait raison mais il n'avait surtout pas complètement tort.
Dites d'une femme qu'elle est un peu pute, si elle s'en défend c'est tout ce qu'il y a de plus normal. Si elle vous en parle encore une semaine plus tard c'est que vous l'avez touchée quelque part. Si trois semaines plus tard elle s'en défend toujours c'est qu'il y a un fond de vérité. Si c'est faux, les propos se perderont dans le vent.
Quand Jacob Tierney a dit ce qu'il avait à dire, les québécois francophones ont tellement trouvé que le chapeau leur faisait qu'il se le sont rentré sur la tête jusqu'aux épaules.
Jacob Tierney était, au moment de tenir ses propos, en promotion pour son film The Trotsky. Je reviendrai sur ce petit chef d'oeuvre plus loin. Dans ses propos sur le tapis rouge, il avait aussi dit que la télévision québécoise était pathétique parce qu'il n'y avait que des faces blanches dans tous ses téléromans et que les minorités qui y paraissaient de temps à autre n'étaient que décor. Ou "le noir de service" ou "L'asiatique du dépanneur" ou "L'anglo de circonstances".
Il avait tout à fait raison là-dessus. Dans notre écriture de télé-CLSC issue de l'école Passe-Partout (émission qui a laissé entrer le ministère de l'éducation dans notre écriture télévisuelle) nous avons toujours fait de la télé propre propre propre. On commence tout juste à visiter des endroits plus éclatés, plus riches, comme Les Hauts et Les Bas de Sophie Paquin, Les Invincibles, La Vie, La Vie ou Minuit, le Soir. Peut-être (sûrement) étais-ce les décideurs qui ne voulaient jamais prendre de risque ou faire de vagues, ce qui a fait qu'une tonne de bonnes idées (2% des miennes) sont restées lettres mortes chez les lecteurs de projets; il reste que, pour les raisons complètement contraires qui donnent des privilèges à des crapules comme DSK, heureusement dans notre petite communauté, certains enfants de la balle, ont des privilèges afin de pouvoir mener de bons projets à termes.
Anne-Marie Losique a eu ses entrées grâce à son père.
Jérôme Charlebois fait de la zizik alors que papa et maman ont bien déblayé le terrain.
Raymond Fillion est le fils de Maurice Fillion, Pénélope McQuade: la fille de Winston, Véronique Cloutier: la fille d'un crotté, Anik Jean: la cousine de Jean Leloup, Marina Orsini est la nièce de Jean-Claude Lord.
On pourrait faire le tour de l'union des artistes longtemps comme ça.
Vous croyez que Raphaëlle Germain aurait fait son chemin sans les mains de ses deux parents écrivains?
Marc Dupré a une carrière parce qu'il est dans la famille du pape du Québec.
Mais ce n'est pas tout le temps vrai.
Xavier Dolan doit sa carrière et à son père et à sa mère (qu'il veut pourtant tuer) mais il n'a eu l'aide de personne pour faire son premier film (sinon celle de son père et de sa mère). L'aide est venue lâchement après. Par ses mêmes gens qui l'avait refusé des dizaines de fois et quand il a obtenu un succès quand même.
Jacob Tierney est le fils d'un producteur influent du cinéma canadien, Kevin Tierney. Ça l'a surement aidé à faire passer ses projets. Et c'est tant mieux. Parce que Tierney est tout à fait brillant.
The Trotsky raconte l'histoire de Leon Bronstein, un intense jeune juif de l'ouest de Montréal, tout à fait convaincu qu'il est la réincarnation de Leon Trotsky. Lorsqu'il rencontre une formidablement attirante jeune femme de 9 ans son ainée et qu'il a le coup de foudre, (comme le vrai Trotsky) il est encore plus convaincu que sa destinée est toute tracée. Au point que son propre père, avec lequel il s'est brouillé, suit la vie de son fils en lisant la biographie de Trotsky, que Leon éxécute à la lettre, des fois sans même le réaliser.
Il s'agit d'une comédie tout à fait délirante et fort habilement, tournée, écrite, jouée et dont la photographie montre encore la beauté de cette merveilleuse ville que peut être Montréal sous certains angles.
La trame sonore fait aussi honneur aux artistes de chez nous. Katy Horsley et Sarah Webster ont glissé du Malajube (3x) dans une tapisserie sonore parfaite.
Il y a cet extraordinaire chapître 8 dont un personnage déguisé en Arafat m'a fait pleurer de rire. Quatres chapîtres plus loin, aller au cinéma devient une véritable mission révolutionnaire qui se terminera en coup d'état.
Tierney apparait dans la très comique toute dernière scène dans le rôle d'un russe ayant le même nom original que Lénine.
Son film, tout comme les filles de Montréal qui y participe et (probablement) y habite sont un véritable délice.
Jacob Tierney a adapté le roman de Christine Brouillet Chère Voisine, publié en 1982, pour en retransposer l'histoire d'un tueur en série dans le Montréal de 1995, au plus fort du vent de folie référendaire qui avait amené tous ses clowns du reste du Canada pour prendre une journée off à nos frais et nous faire croire qu'ils nous aimaient. Good Neighbors sera en salle dès ce soir.
Je ne pense pas que je vais applaudir de bonheur comme un otarie comme je l'ai fait avec la comédie The Trotsky car Good Neighbors est un thriller. Mais Je sais assurément que j'y trouverai mon compte.
Tierney trouve peut-être qu'il n'y a pas assez de couleurs sur nos écrans.
Personnellement je trouve qu'il n'y a pas assez de Tierney.