S’inscrivant au titre des violences faites aux femmes, les mutilations génitales féminines, en abrégé MGF, consistent en l’ablation du clitoris avec dans des cas extrêmes, la suppression des grandes ou des petites lèvres de l’appareil génital féminin. Profondément ancrées dans les mœurs africaines, d’aucuns n’y verraient que l’équivalent de la circoncision chez l’homme, parce qu’elles seraient l’élimination d’un bout de chair impure. Elles sont en outre perçues comme une étape cruciale marquant l’entrée de la jeune fille dans l’univers des adultes, car dans la plupart des communautés, on les entoure d’un ensemble de rites initiatiques qui consacrent cet état de fait. Ainsi, les candidates à l’excision vivront un temps de retraite au terme duquel la communauté les acceptera comme des membres à part entière. De ce point de vue, envisager de supprimer les MGF a généralement été perçu comme une atteinte intolérable aux valeurs fondamentales de la communauté. Partant de là, l’on pourrait aisément s’imaginer le désarroi et la souffrance morale de la femme non excisée à qui sa communauté d’origine octroierait une place parmi les gosses lors des assemblées solennelles.
Et pourtant, à ce jour, tout le monde est plus ou moins averti des dommages liés à une telle pratique : contamination au VIH/SIDA, accouchement difficile avec risque de décès, fistule entraînant de facto une mise en quarantaine doublée d’une accusation de sorcellerie, stérilité et stigmatisation avec à la clé, le recours aux marchands d’illusion qui aujourd’hui foisonnent un peu partout, et, très profondément, atteinte à l’équilibre psychologique de la femme excisée qui ne peut jouir de sa sexualité.
Mais à qui profitent en réalité les mutilations génitales féminines ?
L’analyse met l’homme en relief, dans des communautés foncièrement phallocrates, où l’existence de la femme se résumerait à plaire à l’homme. On y encense les MGF de toutes les vertus : femme mature, responsable et incapable de la moindre frivolité ; femme qui assurera à son homme une descendance saine. Ils sont nombreux, les hommes qui continuent d’y croire dur comme fer, des hommes qui pensent la femme non excisée impure et qui feraient une attaque cérébrale à la seule vue d’un clitoris. Certaines communautés iraient plus loin en employant l’organe amputé pour confectionner des aphrodisiaques destinés à l’homme. Une telle hypothèse viendrait entériner la phobie du clitoris : dans le besoin injustifié de consacrer la suprématie du phallus, ce minuscule bout de chair apparaîtrait-il comme un redoutable concurrent ? Dès lors, aux yeux de la femme dépouillée de toute possibilité d’orgasme, le rapport sexuel devient un calvaire et une source de plaisir sadique pour l’homme. Pourtant, ce serait bien plutôt l’ablation du clitoris qui pousserait certaines femmes à multiplier les partenaires sexuels, dans leur quête effrénée de la volupté tant louangée.
Dès lors, pourquoi ne pas axer la sensibilisation autour de la gente masculine ?
L’homme étant le chef de famille et l’époux, celui dont l’assentiment est préalable à toute action, le challenge consisterait à emmener les caciques à revoir leur approche de la femme et des MGF. Il faudrait qu’ils arrivent enfin à comprendre qu’il n’y a absolument rien de valorisant à épouser une femme mutilée. Pensons notamment à tous ces intellectuels, parlementaires, juristes, étudiants en fin de cycle, jusque-là insensibles au cri de cœur de la femme, ces intellectuels qui maintiennent ce verrou absurde de la tradition afin de ne pas concéder l’ouverture de trop aux valeurs occidentales...
Pourtant, en premier lieu, le fait de ne pas pratiquer de MGF n’est pas spécifiquement occidental : l’Afrique des MGF est plus l’exception que la règle au niveau mondial. Ensuite, même si la défense des droits individuels a sans doute été une bataille d’abord occidentale, elle a une portée universelle, et elle s’accommode de cultures très différentes. Le droit de la femme sur son corps, dans le respect de la vie, est un droit individuel fondamental, bafoué par ces pratiques communautaristes d’un autre âge.
Ensuite, doit-on observer une attitude de repli sur soi dans un monde qui bouge au seul motif, injustifié d’ailleurs, que l’on ne veut pas perdre son identité culturelle ? Car de quelle identité parlons-nous ? Encore une fois, une identité où la communauté martyrise les femmes. Toutes les cultures ne se valent pas, toutes les pratiques ne se valent pas : défendons-nous l’esclavage au prétexte qu’il fait partie d’une pratique identitaire ? Ne sombrons donc pas dans le relativisme culturel : il y a des cultures moralement supérieures, celles qui respectent les droits individuels. D’ailleurs, si tant est que l’on tient absolument à son identité, pourquoi ne pas conserver les rites et abroger la pratique ?
Rappelons également nos élus à l’ordre, eux qui entérinent des propositions de lois anti-MGF à l’hémicycle pour ensuite revêtir des tenues d’apparat et s’afficher aux premières places, lors des festivités marquant la sortie des excisées. Saluons au passage toutes ces ONG impliquées un peu partout dans la lutte contre les MGF, avec une mention spéciale à l’imam El hadj Cissé Djiguiba et son ONG abidjanaise qui s’investit également dans la lutte. Formulons le vœu qu’ils puissent bénéficier du soutien ferme des autorités compétentes. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra espérer que soit définitivement refermée cette page sombre des MGF en Afrique.
Enfin, rendons un hommage appuyé à chaque victime des MGF, en formulant la requête qu’elle s’implique davantage dans le combat, afin de mieux préserver de cette pratique abjecte, tant d’innocentes petites victimes.