Ce matin, il était tôt encore mais le soleil envahissant déjà mon appartement réchauffait mes os vieillissant, l’air doux m’enveloppant d'un châle léger. Souriant à la vie, vautré dans mon canapé un mug de café à portée de main, j’entamais une première séance de lecture, profitant du silence matinal préfigurant une belle journée.
Quand la grosse mouche entra. Je ne sais si vous l’avez remarqué, la mouche commune se balade, erre ici et là discrète, alors que la grosse mouche noire est toujours pressée autant que bruyante. Dès qu’elle est entrée son bourdonnement m’a prévenu sans même que je la voie, un rapide tour de la pièce puis elle s’est engouffrée, poussée par on ne sait quelle urgence, dans le couloir menant aux chambres c’est à dire vers un cul-de-sac. La sarabande s’est poursuivie dans les pièces, zonzon agaçant s’obstinant à chercher une issue où il n’y en a pas, la mouche tente désespérément de passer à travers les vitres redoublant de vigueur dans son bourdonnement, chaque chambre sera le terrain de nouvelles tentatives sans espoir.
Agacé, au bout d’un moment, je me suis levé pour lui ouvrir une fenêtre, c’est là que la mouche touche au comble de la bêtise de son petit cerveau. Fenêtres coulissantes, j’ouvre un panneau elle s’enfuit sur l’autre, je referme l’un pour entrouvrir l’autre, la mouche inverse sa position et s’énerve et m’exaspère. Je tente de coulisser les deux panneaux l’un sur l’autre, l’insecte volant se réfugie entre les deux vitrages et s’y coince sans pour autant disparaître de mon univers. Je referme ma fenêtre et retourne à ma lecture.
Zzzz ! Zzzz ! Après plusieurs minutes de silence, la crétine ayant repris ses esprits et des forces s’est lancée dans une nouvelle visite de mon appartement. Bzz ! Bzz ! Elle est passée au-dessus de moi, elle repassera par là, s’engouffrant dans la cuisine comme un bolide zonzonnant, je l’entends qui heurte la vitre, bélier ridicule et têtu, chocs mous. J’essaie de continuer ma lecture, mais je n’arrive pas à l’ignorer, mon cerveau la localisant parfaitement et devinant aisément ses efforts vains pour rejoindre l’extérieur. La bestiole n’a qu’une idée en tête, foncer vers la lumière du jour mais dans sa pauvre caboche la transparence du verre n’éveille aucun écho, aucune compréhension, la sortie est par là donc elle s’obstine encore et encore.
Les mouches communes raisonnent à l’identique, mais silencieuses je les laisse vivre leur vie sans même me rendre compte de leur présence, seuls les cadavres au pied des rideaux prouvent le combat fatal qui s’est joué dans mon dos. La grosse mouche elle, moins discrète, ne sait pas mourir en silence, quel manque de tact ! Empêtrée dans les voilages de ma salle de séjour, le barouf prend des proportions que mon énervement amplifie, j’abandonne mon bouquin et me lance à l’assaut de la furieuse.
Premièrement, la dégager des tulles n’est pas une mince affaire, elle réagit systématiquement à l’opposé de toutes mes tentatives sensées pour la dépêtrer du piège dans lequel elle s’est fourvoyée, secondement j’ouvre encore plus grand la baie vitrée pour augmenter ses chances de fuir, et là enfin, hasard ou lueur d’intelligence furtive, la mouche file poussant les gaz à fond, bzz ! Bzz !
Mon appartement ayant retrouvé son calme, la lecture peut reprendre jusqu’à la prochaine intrusion, car ne nous leurrons pas, cette mouche n’est que la première de la saison, il en sera ainsi durant tout l’été.