La page Facebook créée par Manal et d’autres saoudiennes a été bloquée par les autorités du Royaume. Elles revendiquent simplement l’un de leurs droits « les plus élémentaires » : conduire, ce qu’elles comptent faire donc ce 17 juin, à tire individuel. Ces femmes possèdent un permis étranger et connaissent bien sûr le Code de la route. Une « manifestation » on ne peut plus pacifique, qui n’a rien de violent et d’anti-gouvernemental (comme en Tunisie ou en Égypte).
Manal elle-même a été arrêtée le 21 mai suite à la vidéo postée sur Youtube dans laquelle on la voit au volant d’une voiture, filmée par sa passagère, l’écrivaine et féministe Wajeha al-Huwaider. Relâchée après quelques heures, la police de la promotion de la vertu et de la prévention des vices l’a fait à nouveau arrêter le lendemain matin aux aurores à son domicile. Elle devait être relâchée le 26 mai, mais une détention de dix jours supplémentaires a été prononcée.
Si la loi saoudienne n’est pas explicite sur le sujet, l’interdiction semble être de nature religieuse, une fatwa ayant été prononcée. Ce qui permet à certains d’expliquer que l’Islam interdit la conduite des femmes. Soutenir que le Coran ait prévu la conduite des automobiles avec 14 siècles d’avance prête évidemment à sourire. Ni le Coran ni la sunna n’interdisent aux femmes de conduire. En outre, si l’on tient à rentrer dans ce jeu herméneutique, les femmes à l’époque du Prophète ne montaient-elle pas à cheval ? Certaines d’entre elles combattaient même aux côtés du Prophète comme Nassiba bint Kaab. Le cheval n’était-il pas l’automobile de l’époque ?
Un autre argument avancé par les hommes opposés à la conduite des femmes consiste à expliquer que des femmes libres au volant vont augmenter les flirts, et le harcèlement sexuel. En Arabie saoudite, selon une certaine interprétation de l’Islam, la proximité des femmes avec des hommes étrangers à la famille est prohibée, et de ce point du vue, la femme ne peut se déplacer en voyage en compagnie d’hommes étrangers à la famille : elle doit être accompagnée d’un mahram (son père, son frère, son fils...). Or, de manière ironique, c’est bien parce que les femmes ne peuvent pas conduire qu’elles sont aujourd’hui forcées de faire appel à des chauffeurs ou à des taximan, qui sont des « étrangers » : l’interdiction va donc à l’encontre de l’Islam prôné en Arabie saoudite, ce qui constitue une incohérence.
Au-delà de ces pseudo-arguments fondés sur une interprétation alambiquée de la religion dans le seul but de se transformer en argument d’autorité, le problème plus profond est que l’Arabie saoudite est un pays qui ne respecte pas les droits individuels et qui ne connaît pas l’état de droit. Non seulement les droits de certaines minorités religieuses sont bafoués mais aussi ceux de la minorité la plus importante : les femmes.
Malheureusement, du fait de son pétrole, le Royaume a pu s’enrichir facilement sans avoir à adopter des institutions économiques et politiques libérales : une forme de malédiction des ressources. Malédiction d’autant plus problématique que le pays reçoit le soutien inconditionnel de l’Occident, qui montre là les limites de ses « grands principes » (droits de l’homme, liberté, démocratie, etc...), qui ne valent plus grand chose quand la géopolitique entre en scène.
En occident même, l’affaire DSK a largement affaibli une certaine forme de machisme. Éspérons que des voix de la raison, suite à la pétition lancée par des intellectuels, mais aussi - pourquoi pas ? - par le biais de réactions possibles de femmes de pouvoir influentes comme Hilary Clinton ou Angela Merkel, fassent-elles taire le machisme institutionnalisé du Royaume saoudien, fondé sur une instrumentalisation de la religion.
Nadine Abdallah est docteur en droit et avocate.