Mladic et la page de l’explosion de l’ex-Yougoslavie se tourne

Ratko Mladic a enfin été arrêté, après des années de traque et transféré au Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, de La Haye. Il est inculpé pour crimes contre l'humanité, notamment pour son rôle dans le massacre de l’enclave de Sebrenica, qui a coûté la vie à des milliers de musulmans de Bosnie. Cela dans le contexte d'une série de conflits violents, ayant opposé différents groupes ethniques ou nations de la défunte Yougoslavie. La guerre de Bosnie (1991 - 95) fut l'une des plus meurtières en Europe, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.  Mladic était un des derniers personnages clés impliqués pour crimes de guerre, encore en cavale, et son arrestation après celle de Milosevic et Karadzic, vient tourner définitivement une page.

La Yougoslavie était un Etat, mais n’a jamais réussi à devenir une nation. La Yougoslavie de Pierre 1er était née le 1er décembre 1918 (littéralement pays des Slaves du sud en serbo-croate), sur les décombres de l'Empire des Habsbourgs, fruit de la diplomatie wilsonienne et de ses fameux quatorze points. L'article 10 du traité de Versailles crée la SDN, les principes wilsoniens (du président américain T. W. Wilson), se résumant en la fameuse autodétermination des peuples, la liberté et la paix. Une des conséquences est la dissolution de l'empire austro-hongrois, redessinant les frontières de l'Europe centrale et aboutissant à la création de nouveaux Etats au centre de l'Europe, dont la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie. En découlera également le traité de Trianon, encore mal vécu aujourd'hui par une partie de la nation hongroise. A sa naissance officielle (1920), la Yougoslavie avait tous les défauts d’un empire en petit. Et les revendications et aspirations nationales sont brimées, dès le début, à l'image de l'assassinat de Pierre 1er, par un nationaliste croate, à Marseille. Et à la fin du siècle, cet Etat avait tous les défauts d’une petite dictature communiste. Un Etat qui n'a jamais été une nation, à l'exception du football, où l'équipe yougoslave parvenait à s'entendre sur le terrain, leurs excellents joueurs infligeant souvent une raclée aux Français. De Gaulle disait que “la Yougoslavie, c’était des morceaux de bois tenus ensemble par une main de fer, celle du dictateur communiste, Tito”. Tito disait que “La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti”. Mais après la mort de Tito (1980), la tension se fit jour, avec une montée du nationalisme dans les différentes républiques fédérales. L'élection de Milosevic en 1989 et le discours de Kosovo Polje marque un point d'orgue. Les indépendances de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie, en 1990, ne se firent qu'après une décennie d'intense propagande, de diffusions de documentaires, d'instrumentalisation de l'histoire et des nationalismes. Milosevic alors n’avait plus qu’à souffler sur les braises du nationalisme serbe. A la tête de la Serbie, Milosevic, un petit apparatchik serbe et ambitieux, cru échapper à la débâcle, en prenant par les cornes, le taureau du nationalisme serbe et relégitimant son pouvoir dans le sang. Mal lui en prit. Milosevic transforma une cause légitime en une cause indéfendable.

Depuis la première guerre mondiale, les Serbes étaient nos alliés. Une statue avait été érigée au cœur de Belgrade, en l’honneur de la France. Mais les Croates étaient les amis de l’Allemagne, depuis la seconde guerre mondiale. Les Oustachis croates étaient d'ailleurs parmi les rares soldats étrangers respectés par la Wehrmacht. François Mitterrand qui était né pendant la première guerre mondiale, soldat sous la seconde, n’avait rien oublié, d'où son positionnement diplomatique pro-serbe, ménageant la chève et le chou. Il fit mine de ne pas voir les excès et les exactions des miliciens serbes. De son côté, Helmut Kohl, l’Allemand, entourait de ses appuis financiers et diplomatiques, les traditionnels amis et clients croates et slovènes. La France était aveugle, l’Allemagne borgne et au pays des aveugles, les borgnes sont roi. Dans la Tchécoslovaquie voisine, c’était la même situation, les mêmes défauts initiaux nés du traité de Versailles, les mêmes conflits. Mais la dissolution se fit pacifiquement, le président Vaclav Havel laissant les Slovaques prendre leur indépendance. Naturellement, les Croates ou les Bosniaques n’étaient pas des saints. Démentant les grotesques accusations des BHL et autres Glucksmann. Mais jusqu’au bout, Mitterrand mena double-jeu. Mais Milosevic s’était trompé d’époque, car il lui fallait pour faire une politique du feu et du sang, être le plus fort. Or, si le Serbe était un géant au milieu des nains, mais il était aussi un nain au milieu des géants. Le revirement diplomatique de Chirac avec Mayjor, amenèrent Serbes et Bosniaques à la table des négociations, lors des accords de Dayton. Milosevic avait perdu la partie, jusqu'au drame du Kosovo en 1998-99.

Mais non seulement il ne parviendra pas à créer la grande Serbie rêvée, mais il finira par perdre le Kosovo, le berceau historique de la nation serbe, depuis longtemps. Son allié russe exsangue, la Serbie fut la proie facile de ce nouvel ordre mondial, instauré triomphalement quelques années plus tôt, par George Bush père. “La Yougoslavie fut dispersée sous les bombes”. Pour emprunter l'analyse d'Eric Zemmour, résumant bien le propos : “Ce que un président américain, Wilson, avait fait, le président américain Clinton, le défaisait. Comme un condensé de l’histoire de l’Europe, au XXe siècle“.

   J. D.