Une piste cyclable a remplacé le chemin de halage
Je lui devais une
visite!
" À dans deux heures!" Lançais-je un peu
présomptueux à l‘adresse de Ronronette
C’est mal partis: Sortis du parking en montée, les pieds
verrouillés par les pédales automatiques, le plateau bloqué par la chaine, je
n’eus que le temps, en faisant pivoter le guidon, de l’option fossé. A ma gauche du goudron, à ma droite l’herbe tendre. Tendre mais trompeuse comme la
tentation car au bout du fossé c’est une concentration d’orties qui accueille
mes fesses. J’adôôôôre les jardins mal fréquentés!
Là, le lecteur a compris que le sujet est sur une
bicyclette et que sa maladresse est à la hauteur de son enthousiasme. Il lui
reste à apprendre, au lecteur, que le sujet abandonnant le cocon confortable de
la voiture, pour un périple le long du canal à l’ombre des platanes, a prévu de
s’enquiller une petite soixantaine de bornes en deux heures par 33 degrés
dehors et 37.2 dedans ce matin.
Les plus férus de psychologie verront le symbole
Voiture/confort/Ronronnette/monotonie/monogamie/tentation/sport/vèlo/aventure/danger.
Et lorsqu’ils auront finit de surfer sur cette houle
sémantique ils se diront que c’est bien partis pour une philosophie à deux
balles sur le « long fleuve tranquille » et une explication par la
scolastique de la loi du canal.
Bien partis
pour mes zaventures mais mal partis pour la vitesse.
C’est stupide la vitesse hein? À vélo, moto ou bagnole
c’est toujours aussi inutile!
Anxiogène en plus! Ici, il faut partager l’espace avec
les pédaleurs, pécheurs, promeneurs, millionnaire du temps le temps d’un
dimanche sans les effrayer en les
dépassant avec une trop grande différence de
vitesse. Mais faut bien tenir sa promesse: à peine quittée, Ronronnette,
déjà me manque.
Pourtant la raison l'emporte autant que le vent a raison, je décide de m’adapter et roule à la limite du point
d’équilibre: plus lentement je tomberais. Et puis je gamberge aussi. Pas bon ça!
Canal/long fleuve tranquille/la vie est…
Ok, ok! Et les pécheurs, là, sereins, avec leur
immense vie intérieure qui leur permet de passer des plombes immobiles en
fixant un bouchon?
D’abord j’en fais autant si le bouchon est sur une
bouteille de rouge: Sportif mais pas intégriste.
Ensuite, ils ne seraient pas en train de choper des
petits poissons innocents avec leurs hameçons pas sympas du tout? La loi du canal! Et
tant pis pour ceux qui se laisseront tenter par les leurres. Bon, ça c’est
fait: l'illusion, la vie tout ça…. J’enclenche le 40x13 et profite du soleil,
car les abords du canal sur les premiers kilomètres ne sont pas vraiment
ombragés. Il y a pas mal de raidillons secs et brefs annonçant les ponts et un changement de
coté du chemin de halage goudronné au passage d’une écluse ou d'une route. Il faut soit
anticiper pour conserver son élan ou changer promptement de braquet. Je me
demandai, à chaque impulsion pour conserver ces quelques mètres qui étaient au
final des secondes, si l’énergie dépensée était justifiée. Sans aucun doute
s’il s’agit de tenir cette promesse de «à dans deux heures » sans mépris
et sans danger pour les territoriaux en balade. Et surtout après avoir parlé
trop vite, il n’est pas si facile, finalement de déceler, bien planqué derrière
la vertu de la patience, le vice de la paresse.
Entre Castets en Dorthe et Fontet il n’y a toujours
pas d’espace suffisamment dégagé et, à la sortie de la base nautique vers Hure,
je croisai un roller du club de Sanguinet (40) à au moins 200 km de son camp de
base pour perdre joyeusement encore quelques minutes.
A Villeton, une procession, de canetons. (Une cane et
ses petits en file indienne.) Charmant! Oup’s, pas vraiment: tandis que je me
régalais du spectacle gracieux de ce cortège admirant la perfection géométrique
du sillon en V tracé sur l’onde verte,
je vis disparaitre le petit dernier de
la file happé par un ragondin. Sans périscope pas de trace: ce prédateur
sous marin est en train de faire ses courses sans rayer le miroir spéculaire de
l‘eau.
La cane se retourna émettant un « Coin,
coin! » qui voulait dire sans doute: « mais….où est passé
Roger? » puis, continue sa calligraphie nautique. Une autre disparu, un
autre « Coin, coin! », un autre « mais….où est passé
Gérard? » Je songeai que les canes ne savent pas compter et que maman
ragondin à aussi des obligations alimentaires envers ses petits à elle.
Je m’éloignai dressé sur les pédales en danseuse
maudissant la loi du canal. Je n’aimai décidément pas quand la loi essaie de
ressembler à la morale.
Après le Mas d’Agenais (pour les aficionados du canal,
Villeton est situé APRES le Mas, mais pour la chronologie du récit, ça
m’arrange pas) l’espace se dégage. Parce qu’il est temps de trouver une
musique, que l’heure tourne, qu’il me reste un peu de jus dans le poireau et
quinze kilomètres à parcourir, je mets du gros braquet.
Le pédalage rythmé par: « On the road again,
again.....» vent contraire et sur le 50x11, je me cale sans trop de peine sur un
petit 35 de croisière. Pas longtemps: un groupe d’oies migratrices à pédales,
grégaires lentes et bavardes caquètent devant prenant ma part de piste.
« ….nous
étions jeune et larges d’épaules
bandits joyeux, insolent et drôles,
on attendait
que la mort nous frôle…. »
Mes respectueux principes de tout à l’heure deviennent
soudain caducs et s’inclinent devant la dictature du temps. Pas envie de censurer
la chanson, la vitesse, le rythme, le vent et, comme il y a une fenêtre de tir
entre les cyclistes femelles d’une largeur suffisantes pour mon petit guidon,
allez, je tente, je vise, et transperce la croupe troupe qui n’a pas eu le
temps de se refermer. Souvent l’effet de surprise, la longueur réduite du
couloir, et le différentiel de vitesse permettent une pénétration furtive dans
l’étroitesse du passage. Ça caquette de plus belles et les pintades à
roulettes, dans leur bon droit, on est d’accord, m’affublent de pas mal de noms
d’oiseaux. C’est bon d’être un voyou!
On the road again, again, en avant toute, baisse la tête t'aura l'air d'un coureur. Les mains en bas du guidon, tout à droite pour les pignons, le vent siffle et résiste, les jambes tournent à mollets tendus et cuisses de feu, les poumons poumonent tant qu'ils peuvent, le coeur cherche la sortie de sa cage thoracique et cogne contre les barreaux de mes cotes, la bouche sèche au vent de la course, le maillot claque sur les épaules. C'est jouable: je vais niquer le temps et celui qui me le vole!
Raconte-moi l’histoire du grain de sable captif entre les hanches du sablier sans me dire les souffrances de l’expulsion car j’ai mal au temps.
Raconte-moi l'histoire des souvenirs ancrés dans les strates repentis de l'épaisseur des buvards tachés par l'encre violette.
Raconte-moi l'enfant jouant au ralenti à la marelle retombant du ciel vers la terre.
Raconte-moi le renoncement des grandes personnes.
Raconte-moi le ressac de la mer.
Raconte-moi cette vague qui jamais n'atteindra la dune.
Raconte-moi où va la nuit quand elle entend la voix de l'oubli.
Mais ne me parle pas, mère, de forteresses vides où règnent la souffrance, l’abandon, la solitude.
Passsque moi, ben.... j'ai oublié les marées hautes et les oranges sont à mère!
Bonne fête maman! Adam Dezeure À Damazan le 29/05/2011 « Mnésie d’un fuyard, schizophrène et plus si affinités »