Sarah aime bien le mur. Il est grand, impressionnant et complètement gris. Comme les nuages quand ils sont en colère. Mais elle le trouve, en même temps, effrayant. Il ressemble à un monstre. Un monstre qui a très faim et qui peut à tout moment tout dévorer. Et elle se demande à quoi il peut servir. Il lui arrive parfois de demander à sa mère.
Maman, dis-moi, pourquoi est-ce qu’ils ont construit un mur et pourquoi est-ce qu’il ressemble à un monstre.
Ils l’ont construit pour se protéger.
Elle hoche la tête pour indiquer qu’elle a compris mais elle n’a rien compris. Qu’est-ce que protéger veut dire ? Ils sont compliqués les adultes avec leurs mots compliqués. Parfois elle les observe, les écoute avec attention mais elle n’arrive pas à comprendre quoi que ce soit.
De toute façon elle a mieux à faire.
Il y a ses amis, qu’elle aime beaucoup.
Il y la mer, qu’elle aime encore plus.
Et il y a ses livres, qu’elle aime plus que tout.
Mais aujourd’hui elle n’a pas le temps de penser à tout ça car sa maman lui a confié une mission, se rendre de l’autre côté du mur.
Sarah a un petit peu peur. Elle est très timide. Sa mère lui a dit que c’est simple, tu n’as qu’à remettre la lettre au soldat et il te laissera passer, tu es grande maintenant.
Oui maman. Mais elle n’a pas envie d’aller voir grand-père. Il est trop grognon. Et il aime radoter les mêmes vieilles histoires. Lui parler du bon vieux temps. Mais elle n’en a rien à faire du bon vieux temps.
Elle veut jouer avec son meilleur ami Kabir ou lire un livre.
Mais pourquoi est-ce que j’ai dit oui à maman.
Pour lui montrer que je suis une gentille fille, une gentille fille obéissante.
Elle doit cesser de dire que je me comporte comme un bébé. Je suis grande maintenant.
Trop tard maintenant. Tu ne pourras retourner à la maison. Maman risque de te punir.
Et elle se met à regarder le mur une nouvelle fois. C’est vrai qu’il est grand, c’est vrai qu’il ressemble à un monstre, il ressemble à un personnage de BD, a l’ennemi public numéro Un, celui qui ne rit jamais et qui détruit tout sur son passage. Il est comme ça le mur.
Mais le plus bizarre c’est qu’avant il n’y avait pas du mur. On était libre de circuler. Et elle se rendait souvent chez grand-père. C’est vrai qu’il est grognon mais il est aussi gentil, il lui donne du chocolat. Et elle aime ça, en manger, c’est trop bon.
Mais le plus bizarre de tous les bizarres c’est qu’ils l’ont construit en moins de quelques semaines. C’était comme un tour de magie. Pas de mur et soudain un mur. Et paf, voilà un mur pour vous.
Sarah se dit qu’elle ne comprendra décidément jamais les adultes.
Tant pis pour eux !
Mais qu’est-ce qu’elle va faire. Aller chez grand-père ou jouer avec Kabir ?
Sarah s’assied et se met à réfléchir. Elle aime bien réfléchir Sarah.
Y aller ou pas ? Elle sait qu’elle doit obéir à sa maman. C’est ce que l’enseignante a dit à l'école. Il faut tout le temps obéir à ses parents.
Obéir à maman et à papa. C’est très important tout ça.
Mais elle ne veut pas y aller. Elle est timide Sarah. Elle a peur du soldat. C’est un gros monsieur avec de gros yeux rouges.
Sarah s’assied donc et se met à réfléchir. Elle se dit que si elle réfléchit très très fort elle parviendra alors à savoir ce qu’il faut faire.
Elle se met donc à réfléchir très très fort mais elle n’arrive pas à se concentrer. Au lieu de penser à ce qu’elle doit faire ou pas elle pense aux petites choses qu’elle aime bien.
Elle pense à la mer. C’est beau la mer.
Elle aime ses couleurs, qui sont toujours si différentes.
Parfois, et elle ne se l’explique pas, la mer semble l’appeler, la mer lui dit de venir, c’est quelque chose de très fort, c’est comme une lumière qui vient de la mer, une lumière intense et belle, limpide, une lumière qui traverse tout, que rien ne peut arrêter, une lumière qui l’appelle, qui lui dit de venir. C’est comme un cri aussi. Elle a alors envie de courir vite, très vite, d’aller à la mer, de se laisser emporter par la lumière.
Elle aime cette lumière mais d’où vient-elle, d’où vient cette lumière qui parfois entre dans son corps, son cœur et qui se met à pulser dans ses veines.
D’où vient-elle ?
Parfois elle est en classe et soudain elle entend le cri de la mer. Elle ne sait plus quoi faire alors, elle a envie de pleurer tellement c’est fort, ce désir qui est en elle, cette lumière qui est en elle, elle a besoin de la mer, elle doit y aller, tout de suite. Et parfois, tôt le matin, alors que maman et papa dorment, elle se rend à la mer, elle se met à courir, très vite et puis quand elle y est elle s’arrête et elle contemple la mer.
Elle fait les yeux doux à la mer.
Et elle reste comme ça longtemps.
Immobile.
Elle ne bouge pas. Elle ne dit pas un mot. Et elle aimerait pouvoir sortir de son corps. D’un coup comme ça, s’envoler et puis se mêler à la mer.
N’être plus qu’un avec la mer.
Mais mer ou pas, elle n’a toujours pas pris une décision. Et elle se dit que c’est sa mère et non pas la mer qui risque de se mettre en colère.
Elle a failli éclater de rire. Elle a parfois des idées rigolotes. Et alors elle rit mais elle rit comme une dingue. Mais elle a décidé désormais d’être polie, une gentille fille. Il faut que tu arrêtes avec tes bêtises. Il faut que tu arrêtes de pouffer de rire. C’est ce que l’enseignante a dit.
Pouffer. Quel mot bizarre. Pouffer. Mais arrête donc sinon tu vas pouffer de rire.
Tu es une grande fille maintenant.
( à suivre )