Le Conseil constitutionnel est un peu agacé. Il a reçu, pour la première fois depuis sa création, en 1958, une demande de récusation de six de ses onze membres au motif qu’ils ne répondraient pas aux conditions d’impartialité requises par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Jeudi 26 mai, le Conseil n’a accepté d’écarter que deux d’entre eux de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – ainsi que Jacques Chirac, qui ne participe plus aux travaux –, mais sa décision pose une nouvelle fois un débat épineux : la composition toute politique du Conseil, dont les membres sont nommés par le président de la République et les présidents des deux assemblées, lui permet-elle de s’ériger en cour suprême ?
Le débat avait failli s’engager lors de la « QPC Chirac », alors que plusieurs membres du Conseil constitutionnel, proches de M. Chirac, devaient statuer indirectement sur le procès où l’ancien président doit comparaître. Mais la QPC n’avait finalement pas dépassé le filtre de la Cour de cassation. Cette fois, c’est Arnaud Montebourg, député PS et président du conseil général de Saône-et-Loire, qui remet la question sur le tapis.
CONTENTIEUX ENTRE ETAT ET DEPARTEMENTS
L’affaire a commencé à l’automne 2010 par une lettre au premier ministre de plusieurs départements, qui réclamait une
compensation financière de l’Etat pour les nouvelles charges qui grèvent leurs budgets : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et
le revenu de solidarité active (RSA).
Matignon n’a pas répondu et les départements ont attaqué l’Etat et déposé 28 QPC que le Conseil d’Etat a transmis le 20 avril au Conseil constitutionnel.
L’enjeu est lourd, le rapporteur public du Conseil d’Etat a estimé que ces dépenses non compensées atteignaient, au total, près de 1,5 milliard d’euros pour le RSA et 3,5 milliards pour l’APA. Le Conseil constitutionnel devrait se pencher sur la question à la fin du mois de juin.
Or, l’avocat d’Arnaud Montebourg a déposé, le 17 mai, une demande de récusation contre six membres du Conseil qui « ont eu à connaître et se sont d’ores et déjà prononcés sur les textes en cause ».
Ainsi, lors des votes en décembre 2003 de la loi de finances et de la loi qui a créé le revenu minimum d’activité (RMA), Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, « a, de ce fait, présidé les débats ayant conduit au vote de ces textes ».
Jacques Chirac, président de la République, « a initié, conformément au rôle que la pratique institutionnelle a confié au chef de l’Etat sous la Ve République, les dits textes ».
Pierre Steinmetz, directeur de cabinet du premier ministre jusqu’en octobre 2003, « a donc participé à leur élaboration ». Le député Jacques Barrot, les sénateurs Michel Charasse et Hubert Haenel ont voté ces lois.
« Ce dossier est un enjeu financier si considérable qu’il est impensable que ce ne soit pas une juridiction impartiale et indépendante qui le tranche, estime Arnaud Montebourg. Il faut éviter que les intérêts partisans et politiques l’emportent sur l’application du droit. »
Marc Guillaume, le secrétaire général du Conseil constitutionnel, a répondu, le 26 mai, que Jacques Barrot et Michel Charasse ne participeraient pas à la décision, mais que pour Jean-Louis Debré, Hubert Haenel et Pierre Steinmetz, le Conseil « a estimé que les motifs invoqués à l’appui de la demande de récusation n’étaient pas de nature à faire obstacle à leur participation ».
Quant à Jacques Chirac, il ne prend plus part aux travaux depuis mars – il se prive de son indemnité de 11 000 euros par mois.
« UNE POSITION INTENABLE »
Il n’est pas rare que des membres du Conseil se déportent d’eux-mêmes, c’est arrivé seize fois depuis les premières QPC,
mais c’est la première fois qu’un tiers le réclame. Pourquoi écarter un sénateur et pas l’autre ? Parce que, prévoit le règlement intérieur, « le seul fait qu’un membre du Conseil
constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de
récusation ».
En revanche, les parlementaires qui ont eu un rôle actif, déposé des amendements ou été rapporteurs d’un texte sont écartés, et le Conseil assure qu’il balaie l’ensemble des travaux de chacun de ses membres pour ne pas qu’ils se trouvent en porte-à-faux.
« C’est une position intenable, assure Thomas Clay, doyen de la faculté de Versailles et proche du député socialiste. A chaque fois qu’on dépose une QPC, on doit reprendre le curriculum vitae de chacun des membres pour savoir s’il a participé à l’élaboration des textes ? Nous sommes face à une juridiction dont on ne sait pas à l’avance comment elle sera composée. Le Conseil constitutionnel ne peut pas revendiquer le rôle de gardien de la démocratie et ne pas être irréprochable. »
Franck Johannès pour « Le Monde »
Merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré