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Sur un aspect de "Philosophie du jugement politique, débat avec Vincent Descombes"

Publié le 17 janvier 2008 par Untel
Si un jugement politique est "une opinion dotée de conséquences politiques pour le sujet qui forme le jugement", ce sujet pourrait chercher, s'il ne suppose pas d'emblée qu'il a de toute façon raison, à trouver le moyen (objectif) de valider ce jugement, c'est-à-dire à évaluer ses conséquences, sa pertinence. Dans le domaine théorique, ce moyen s'appelle la logique. Existe-t-il un tel moyen dans le domaine pratique, et par suite politique? "Il s'agit de savoir si les raisons de condamner une entreprise peuvent être tirées de la catégorie même du politique, laquelle ne relève évidemment pas de la logique, mais bien de la philosophie pratique." Un jugement politique erroné serait alors un jugement inacceptable, soit parce qu'il conduirait le sujet à adopter une conduite inefficace, parce qu'il ne permettrait pas de respecter ses impératifs moraux, ou parce qu'il le pousserait à agir de façon contraire avec des jugements politiques qu'il considèrerait comme plus fondamentaux. La question est de savoir comment valider ou invalider les jugements politiques sans pétition de principe, sans poser des valeurs non évaluées parce que jugées universelles et "pures" pour juger de la pertinence du jugement, ni accepter des positions prises arbitrairement comme justifications d'une position.
Pour illustrer la difficulté à laquelle il faut faire face pour répondre à ce problème, Descombes convoque le "cas" (au sens de cas d'école) du "nazi rationnel", qu'il emprunte à Elizabeth Anscombe. Celle-ci prétend que la rationalité classique est inapte à distinguer les jugements pratiques acceptables des jugements inacceptables. La rationalité pratique en jeu est cette capacité d'un sujet de trouver les moyens adaptés à l'accomplissement d'une fin qu'il se propose. Or la rationalité de ce type ne donnerait pas prise à une évaluation des fins, et ne permettrait donc pas de disqualifier les raisonnements nazis, alors même que chacun s'accorde à les trouver inacceptables. L'impuissance de la rationalité à apprécier la justesse des jugements pratiques semble donc assurée ; un nazi agit de façon tout à fait cohérente avec ses principes et ses fins, il n'entre pas en contradiction avec la raison, sa conduite n'a rien d'illogique.
L'ambition de Descombes est de rester sur le même terrain qu'Anscombe, le terrain de la pratique. Il ne s'agira pas de montrer en quoi la conduite du nazi contredit les postulats de la raison pure (pratique). Il cherche pourtant quelle place pourrait occuper une certaine rationalité pour invalider le jugement politique du nazi, et ainsi contredire la position de Anscombe. Pour ce faire, et pour extraire la composante purement politique de l'attitude du nazi, il déplace légèrement le probème posé. On ne cherche pas à savoir si un nazi peut bien faire ce qu'il fait (comme dans l'exemple du nazi rationnel), mais à voir si le fait d'être nazi rend le sujet plus apte qu'un autre à faire ce qu'il fait. On place ainsi le nazi dans un contexte politique, et on ne considère plus seulement l'individu qui cherche à atteindre ses buts.
Un nazi n'est pas seulement nazi, il occupe une position, remplit une fonction dans la société. Descombes prend l'exemple du recteur d'université. Est-il possible d'être à la fois bon recteur et bon nazi? ("pour qu'il puisse être question d'irrationalité pratique, il faut que soient énoncées deux fins d'un seul et même acteur, pas une", "est irrationnel ou contradictoire le programme voué à l'échec parce qu'il demande à l'acteur d'accomplir deux fins dont chacune exige la défaite de l'autre"). Dans ce cas, le recteur nazi est irrationnel en ce qu'être bon recteur suppose l'impartialité dans le recrutement des professeurs et l'évaluation des étudiants, sans prendre en compte l'origine, la position sociale ou l'appartenance à un parti, conditions que ne peut respecter un bon nazi, qui doit placer le parti et son idéologie avant toute autre considération. Descombes cherche à montrer que le champ proprement politique ne doit pas être étendu à tout (à la pratique du recteur, du médecin), afin d'éviter un échec pratique.
Il existerait donc un moyen d'évaluer rationnellement un jugement politique sans poser de valeurs universelles fondamentales, en restant sur le terrain de la pratique, sans pour autant considérer que toutes les positions politiques se valent, et qu'il n'est pas possible de décider rationnellement de la validité des unes ou des autres (on en déciderait en fonction de ses intérêts ou de ses inclinations). On n'aurait donc pas à choisir entre le relativisme (qui considère qu'il n'existe pas de véritable raison pratique, mais pour qui les positions de principe répondent à des considérations individuelles intéressées) et un rationalisme universaliste (qui fonderait la justesse des positions politiques sur des valeurs qu'il considèrerait comme universelles, produites par la raison pure). Pour ce que j'en ai compris, en espérant que je ne réduis pas l'intérêt du texte en le synthétisant un peu brutalement. Je t'avoue que j'ai eu quelques scrupules à poster cette notule, puisque je ne suis pas du tout certain de savoir rendre comme il faut un texte si dense que celui du philosophe.
La composition du livre est en outre intéressante. L'article de Descombes qui lui donne son titre est suivi par les objections et critiques de plusieurs philosophes, qui répondent aux thèses présentées avec leur sensibilité (philosophique) et même, dirais-je, leurs obsessions (philosophiques), en spécialistes du domaine. Ces articles permettent de cerner les enjeux de la question. Le recueil se termine par une réponse de Descombes, qui lui permet bien entendu de préciser ses positions.

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