"Quand je me fixe et que je flashe je me sens comme le fils de Jésus..." Les types qui nous racontent (à moins qu'il n'y en ait qu'un, on ne sait pas vraiment) les histoires qui composent Jesus' son ont perdu le sens du réel : trop de came. Ils sont donc obligés de composer avec deux logiques, celle du réel, ce qui parvient jusqu'à eux, et celle de leur intérieur perturbé. Seulement le réel est ce qui agresse : la mort, alors que la drogue ou le délire fournissent une sorte de bonheur et de légèreté, artificielle, certes, mensongère, qui n'empêche pas la catastrophe, mais quand même. On flotte donc dans ce monde double, d'un côté celui qu'on connait et reconnaît, qui a sa consistance, et de l'autre l'hallucination, et les personnages essaient de tenir les deux ensemble, et pour cela doivent produire un effort de combinaison qui donne sa richesse au style de Johnson : on voit à peu près ce qui se passe dans chaque épisode, mais on voit surtout que le personnage n'y comprend rien, est perdu, et qu'on n'en saura pas plus que lui, puisqu'on est plongé dans son monde, l'environnement étant filtré par son esprit déglingué.
On ne peut pas ne pas penser à Burroughs et par exemple à Queer, descente dans l'esprit du junkie. Mais Johnson ne s'attarde pas sur le trivial de la vie du camé, comme le fait Burroughs, sur la recherche de la came etc., il se concentre (et on le suit) sur la distorsion de la réalité, sur sa soudaine étrangeté, sur son absence d'effet sur le personnage, qui reste le plus souvent lui-même étranger à ce qui se passe : "C'était comme le film de quelque chose qui se passait en réalité". On est plongé dans une sorte d'apathie heureuse au milieu du désastre (corps tailladés, accidents mortels, folie, autodestruction).