Nous vivons aujourd’hui dans une société absolument formidable où tout se doit d’être sous contrôle. La domestication des corps et des âmes ; la régulation, la maîtrise, la reproduction à échelle industrielle, la hiérarchisation, l’organisation, la prévision, la planification, la gestion, l’ordonnancement... sont autant de déclinaisons qui jusque dans les plus infimes recoins de nos existences sont la traduction au quotidien de cette société du contrôle. Contrôle des naissances ; contrôle fiscal ; contrôle du travail ; contrôle des échanges ; contrôle médical ; contrôle sanitaire ; contrôle des connaissances ; contrôle judiciaire ; contrôle à distance ; autocontrôle et self-control... la liste serait longue. D’autant plus longue qu’elle est encore amenée à s’enrichir de nouvelles notions et de nouvelles lois qui se traduiront au quotidien par toujours plus de contrôle. Tout est sous contrôle et aspire à l’être. Le hasard, la providence, les accidents de la vie n’ont plus droit de cité. L’héritage des sciences nous a appris que tout évènement, fut-il anodin, se doit d’avoir une explication rationnelle, une origine qu’il nous faudra à terme contrôler. Qui plus est, en l’absence de contrôle, il y a toujours dans le pire des cas une première responsabilité à aller chercher en amont des évènements qui surviennent. Il n’y a plus de destin et de fatalité. Ce qui arrive au uns et aux autres, de bon ou de mauvais, trouve toujours, du moins doit-il en être ainsi ; une responsabilité, une première origine naturelle, scientifique mais aussi légale. Nous sommes tous responsables ; nous sommes tous contribuables ; nous sommes tous redevables... Ainsi nous nous donnons l’illusion de garder un semblant de pouvoir sur nos vies. Or, ces hasards, ces accidents sont, depuis les plus lointaines origines du monde, le ferment, le levain de toutes les formes d’existences. Ils ont été et sont encore les aliments de toutes les formes de création et de progression. Au milieu de cette cohorte d’expédients il nous faut au contraire réapprendre à faire confiance et à accepter ce que la nature nous propose. Dans notre désir de fixité, de stabilité, de pérennité et de conservation (d’éternité en somme) ; nous risquons, bien au contraire, de figer l’essence même de la vie qui n’est que progression, diversité, pluralité et richesse. Il nous faut réapprendre à accepter que les plus petits accidents comme les plus graves catastrophes sont autant de propositions de la part d’une nature souveraine qui ne juge ni ne condamne jamais. Une nature qui n’a pour seule raison d’être et pour unique « volonté » que la vie elle-même. Car tous ces accidents, tous ces apparents manquements ; toutes ces « faiblesses » de la part d’une nature que nous supposons imparfaite, incomplète, inachevée ; ce sont nos cultures, et plus loin encore, nos traditions religieuses qui les ont considérés comme tels. Nos peurs, nos doutes, notre incompréhension vis-à-vis d’un monde et d’une existence qui nous submergent et nous dépassent nous ont contraint à nous retrancher derrière les murs d’une culture qui n’a pas vocation à être universelle.
La culpabilité, le culte de la faute ou du péché déposés comme autant de poisons dans le cœur des hommes par les grands monothéismes nous font depuis toujours considérer les épreuves que la nature nous impose comme autant d’injustices, d’épreuves ou de châtiments. Rien de tout cela en fait ! Il faut que notre regard devienne vision et que nous reconsidérions les faits non plus dans cet éternel rapport entre bien et mal. Tout concoure à la vie. Tout participe de cette force sans origine et sans fin qui n’est qu’une éternelle expression d’elle-même. Voir que la mort n’est là qu’au service de la vie. Elle est cette articulation, cette transition qui permet le changement, l’évolution, la création. Elle est comme ces milieux fluides qui permettent tous les échanges possibles entre micro-organismes. Aussi, et sous l’apparent contrôle que nous pensons avoir et accroître sur les choses et sur la vie, la nature poursuit heureusement toujours son œuvre. Néanmoins, plus nous tenterons d’accroître notre pouvoir et notre contrôle sur les réalités et plus nous en comprimerons le ressort. Aussi, tôt ou tard, toutes ces forces, toutes ces potentialités, toutes ces puissances de la sorte contenues, retenues, analysées et canalisées resurgiront avec d’autant plus de violence. N’est-ce pas ainsi que naissent les révolutions et les apocalypses ?
Sébastien Junca.