Les cathédrales gothiques sont-elles dues aux arabes ?

-Intérieur d'une cathédrale gothique-

On a coutume de célébrer ostensiblement le patrimoine culturel et architectural que nos cathédrales gothiques représentent. Elles sont en effet les joyaux de l’architecture du Moyen Age classique et furent construites dans un esprit d’affirmation de la religion catholique dans toute sa splendeur et dans une volonté de travail pour la postérité.

Cependant ne doit-on pas relativiser notre sentiment d’appartenance vis-à-vis de ces monuments ? C’est ce que semble suggérer implicitement Jean Luc Mélenchon affirmant que « les cathédrales, c’est grâce aux arabes », avant de préciser en évoquant l’apport des mathématiques arabes et l’apport des techniques de construction. Il me semble que Jean Luc Mélenchon parlait avant tout des cathédrales de style gothique. En tous les cas, s’il parlait des cathédrales dans leur globalité, il se tromperait car celles-ci ont été construites en occident dès le VIIIème siècle, donc avant que la transmission de la science arabe ne se fasse.

Que penser de ces propos ? Qu’ils ne sont pas dénués de tout sens déjà, notamment en ce qui concerne les mathématiques, mais qu’il faut les relativiser, surtout à propos des techniques de construction.

L’apport des mathématiques arabes en occident :

Qui diffuse ?

La diffusion commence surtout grâce au pape de l’an mil, Gerbert d’Aurillac, mathématicien qui a permis la diffusion du calcul arabe et les chiffres arabes (eux-mêmes repris aux indiens).

Les traductions du XIIème siècle ont aussi permis la diffusion des mathématiques arabes en Sicile notamment dans les années 1160. Les trois grands traducteurs du siècle, Adélard de Bath, Hermann de Carinthie et Gérard de Crémone en furent les diffuseurs. Pour la géométrie, c’est le commentaire de campanus de Novare, rédigé de 1255 à 1261, qui eu le plus d’influence. Aussi, des marchands comme Fibonacci (qui a écrit des traités s’inspirant des connaissances arabes) ont permis la diffusion de l’algèbre, de la géométrie, de l’arithmétique.

Quel contenu ?

Des apports en méthode de calcul tout d’abord : le calcul à l’abaque (et à la table de poussière), les opérations fondamentales venant des grecs et indiens.

Il se fait aussi en géométrie par la redécouverte de la géométrie d’Euclide.

Le contenu le plus important fut celui d’Al-Khwarizmi, dont les traités d’algèbre (Al jabr) sont traduits par Robert de Chester et Gérard de Crémone, permettant la diffusion du calcul, du 0, du système des fractions et de systèmes algorithmiques.

Mise en pratique :

Elle concerne l’astronomie, l’astrologie, les techniques financières et administratives, l’arpentage des terres, la cartographie, la navigation et aussi l’architecture, améliorée elle par les connaissances en calcul et en géométrie.

-Al Khwarizmi-

Les techniques gothiques héritées des arabes ?

Les techniques de construction aboutissant au style gothique sont en revanche plus difficilement attribuables aux arabes. En effet, ce style est très caractéristique de l’occident du XIIème au XVème siècle et n’est pas observable en orient ou dans le monde islamique avant.

L’art gothique s’appuie essentiellement sur l’utilisation de la pierre calcaire quand l’architecture islamique, étant plus étendue géographiquement (le monde islamique va du sud de l’Espagne à l’Iran), utilise une plus grande variété de pierres (du fait de l’adaptation aux sols et aux matériaux sur place). De même, les plans sont tout à fait différents et les décorations aussi : les plans sont multiples pour l’architecture islamique (iranien, arabe, ottoman…) et les édifices sont plus horizontaux et étendus, alors qu’une cathédrales gothique joue sur la verticalité et la finesse des murs… La décoration est aussi différente : chez les musulmans, elle est très colorée et géométrique, usant de la mosaïque, alors que dans l’art gothique, elle s’appuie sur un développement important des vitraux qui apportent de la luminosité. Les couleurs n’en sont pas moins vives, mais elles sont moins courantes, puisque les couleurs des murs d’une cathédrale sont apparemment plus ocres.

L’art gothique se caractérise essentiellement par trois éléments techniques : l’arc brisé (qui permet de répartir les poussées et d’augmenter la hauteur des bâtiments, la voûte sur croisée d’ogive (qui répartit aussi les forces mais sur les piliers) qui se croisent aux clefs de voûte, et enfin les arcs boutant, extérieurs aux structures venant renforcer les bâtiments en les enveloppant pour compenser la verticalité et la moins grande largeur des murs. De ces trois techniques, seule l’arc brisé fut utilisé par les arabes. Mais ceux-ci n’en n’ont pas fait un outil d’élévation des édifices (qui paraissent moins élevés chez les arabes, sauf en ce qui concerne les minarets). Aussi l’architecture islamique, faisant plus l’usage d’autres techniques (coupoles, dômes, colonnes, iwans…) n’a pas pu transmettre à l’occident des techniques qu’elle n’utilisait pas (ou alors si peu).

Quant aux façons de construire, une universitaire à l’Université Nancy 2 nous a dit que « L'architecture depuis l'Antiquité jusqu'à l'époque romane contenait en germe toutes les solutions adoptées par les architectes gothiques dès le milieu du XIIe siècle ». Elle ajoute que le passage de la géométrie d’Euclide par les arabes a pu jouer un rôle minime, ce qui tend à appuyer la première partie de notre réflexion.

-De Gauche à droite : un arc brisé, une voûte sur croisée d'ogives et un arc boutant ; caractéristiques du style gothique-

Conclusion :

Même si la science arabe a joué un rôle important dans le relais de la connaissance pendant le Moyen Age, nous ne pouvons tout attribuer à ce fait. En effet, la science arabe a beaucoup plus influencé la pensée scientifique occidentale (en philosophie, en mathématiques, en astronomie, en astrologie, en médecine…) que les techniques de l’occident. Ainsi, l’influence de la science arabe sur les cathédrales (gothiques notamment) est relativement peu importante par rapport à d’autres domaines, plus intellectuels que techniques.

Vincent Decombe