Nosfell l’interview

Publié le 01 juin 2011 par Hartzine


Nosfell est un artiste écorché vif qui habite sa musique sans équivalent à ma connaissance. Il chante le plus souvent en Klokobetz, un langage qu’il a inventé à partir de sept mots griffonnés sur un bout de papier que lui a laissé son père avant de partir alors qu’il n’était qu’un adolescent (cf interview plus bas). Nosfell évoque son monde intérieur, un pays qu’il a baptisé Klokochazia où vivent des personnages aux histoires poétiques comparables à ceux des mythes élevés au Japon. La nature a une place importante aussi dans l’univers de Nosfell, et elle peut se révéler destructrice.Le 20 juin prochain, Nosfell jouera sur la scène du Café de la Danse à Paris aux côtés de Daniel Darc, Gaspar Claus, Viva and the Diva, Hindi Zhara… pour donner un concert exceptionnel en soutien au peuple japonais.”Go Tsuru GO” est le nom de ce spectacle unique dont tous les fonds récoltés seront reversés à la Croix Rouge nippone. Tsuru veut dire grue en japonais. Cet animal emblématique symbolise la longévité, mais est aussi porteur d’espoir. Nous avons voulu en savoir plus sur les motivations de cet artiste et les relations étroites qu’il entretient avec le pays du soleil levant. Nosfell nous parle à cœur ouvert des évènements et des conséquences de cette catastrophe qui l’ont secoué.

Entretien avec Nosfell

Peux-tu nous parler de ce concert de soutien pour le Japon que tu organises le 20 juin prochain au Café de la Danse?

LENSØ DØ SOIDAHN, qui veut dire « tous ces sentiments mélangés me chamboulent complètement », pourrait être la traduction en Klokobetz de cette catastrophe qu’ont connue les Japonais. LENSØ, c’est le regard de l’âme sur les éléments naturels

J’ai voulu organiser cette soirée avec des artistes que j’aime de près ou de loin. J’en ai croisés certains par hasard, aimé leur art ou leur personnalité. J’aimerais que nous arrivions à mélanger nos intentions, notre sensibilité et nos musiques pour que cette soirée soit doucement teintée de solidarité. J’aimerais par ailleurs proposer au public un regard particulier sur le Japon ; un angle peut-être plus joyeux que ce que l’on voit en ce moment. J’ai passé un an au Japon il y a dix ans et ai toujours été entouré, en France, de Japonais ou de japonisants. C’est une culture qui me touche. Je sais que chacun des artistes qui se trouvera sur scène le 20 juin a une histoire particulière avec le Japon. Qu’elle soit courte ou longue, elle est forcément bouleversante. Gaspar Claus, par exemple, a composé, en résidence à Tôkyô, une pièce musicale  avec des musiciens japonais. J’ai moi-même pas mal joué là-bas, dans quelques “live-houses”, dans la rue, chez les gens, etc., et y ai rencontré des artistes fabuleux. J’y retourne presque chaque année, quand je peux me le permettre, pour jouer et passer du temps avec les personnes que je considère comme ma famille. Le Japon est à la fois une extravagante fascination pour tous les artistes ; vertigineuse, puissante ; et une douceur de vivre exceptionnelle. La vulnérabilité du territoire japonais est presque aussi grande que la richesse de la culture japonaise. La catastrophe survenue le 11 mars dernier et ses répercussions sont épouvantables. Aujourd’hui, les gens sont mal informés, ils s’inquiètent pour leur avenir. Certains de mes amis du Kansaï me disent qu’ils ne remettront plus les pieds à Tôkyô. La capitale du Japon, “pestiférée”. Pour des raisons impalpables. La situation est étrange, et la reconstruction semble se faire dans l’incertitude et la coupure nette entre le gouvernement et le peuple japonais.

J’espère que le public sera touché par notre initiative autant que nous le sommes, moi et mes amis, par ces événements, et que nous nous rejoindrons pour ce concert hors du commun qui se veut aussi libre que possible. D’autres artistes se sentent concernés et feront le déplacement pour des performances. Nous y mettrons tout notre attachement pour ce pays.

Il y a deux ans, j’avais rencontré Nosfell pour la promotion de son dernier album. Cette interview vous donnera envie d’aller à la rencontre de cet artiste profondément humain qui inspire la confiance et la générosité.

Peux tu me raconter le départ de Nosfell, ses racines, ton métier de caviste ?

Je suis arrivé au métier de caviste car je ne savais pas quoi faire et je commençais à faire des conneries, j’avais des responsabilités familiales et je devais trouver du boulot alors que j’étais ado.  Je suis tombé alors sur un caviste qui m’a pris pour passer les commandes et travailler dans sa cave. Il s’est attaché à moi et est devenu mon père spirituel. Pendant six ans il m’a appris un métier. J’ai vraiment eu de la chance qu’il me prenne sous son aile. Je continuais la musique en parallèle, je jouais pendant mes vacances.

Un jour j’ai donné ma démission, car je suis tombé amoureux et je suis parti au Japon.

As-tu toujours composé tout seul, ou as-tu eu aussi des groupes dans ta jeunesse ?

J’ai eu un groupe avec Edouard Bonan qui est mon ingé son. Quand on était ado, j’enregistrais des bruits de guitare sur un radio-cassette, je pitchais ma voix en mettant un micro sur l’appareil, je faisais des cris par-dessus ; c’était marrant de commencer à jouer en déstructurant la musique. Plus tard, j’ai écrit des chansons, que j’ai enregistrées sur le 4 pistes que m’avait prêté le père d’un pote. Je lui ai rendu cassé, et je me suis fait salement engueulé à juste titre.

Ces compositions sont-elles écrites en Klokobetz ?

Ces chansons sont écrites en anglais, oui et non…

…En fait le Klokobetz, c’est un langage qui vient de mon père. Il était très étrange - je me souviens qu’il me réveillait la nuit pour me parler dans des langues que je ne connaissais pas. Il parlait beaucoup de langues. Je l’écoutais attentivement, mais je ne pouvais communiquer avec lui sans comprendre ce qu’il disait. Mais avant de partir, il m’a laissé 7 mots, de manière absconse, comme une sorte de message cabalistique, sans jamais en parler. Je le portais toujours sur moi, comme un fétiche.

C’est comme ça qu’est né le Klokobetz. J’ai donc trouvé un sens à ces mots de manière allégorique, pour parvenir à les confronter, les rendre concrets. Cela m’a permis aussi de m’en détacher et de me laisser vivre…

Ces 7 mots avaient un sens détaché du matériel, plutôt rattaché à des sentiments. Une fois que j’ai eu assigné un signifiant à chaque son, j’ai pu les imbriquer et les glisser dans mes chansons.

En étudiant les langues, je me suis amusé de la syntaxe, j’ai fait fructifier le vocabulaire en prenant en exemple la parabole des talents, j’ai découpé ces mots en les agençant les uns avec les autres pour en créer de nouveaux en m’inspirant de la grammaire allemande et de ses fameux mots valises.

Mais comme je ne voulais pas aussi que les mots soient trop longs, j’ai créé des techniques de contraction, mais des techniques précises afin que je puisse toujours m’y référer et surtout rester cohérent. Cela m’a pris énormément de temps, car je n’étais pas doué à l’école, j’avais une fascination pour la méthode à un tel point qu’elle me paraissait inaccessible. C’est pour cela que j’étais très mauvais en maths alors que j’adorais ça. Malheureusement, on demande jusqu’au bac d’emmagasiner des connaissances. Ça me terrifiait, je perdais un temps fou à tenter d’acquérir cette rigueur.

Mais en parallèle, le Klokobetz que je construisais en sous-terrain me rassurait, car je maîtrisais ma méthode. Grâce au système allemand d’enclise en début de phrase, la place du COD ou du sujet est assez libre pour avoir une souplesse dans la musicalité. En revanche, les adverbes ne peuvent pas être placés n’importe où dans la phrase. C’est très important pour moi d’être dans une cohésion en terme de sens, il faut qu’il y ait pour ces 3 albums une cohésion esthétique, même si je ne donne pas de dictionnaire. Dans la forme, que j’assume complètement, mon travail est un hommage au surréalisme et au lettrisme, qui sont des mouvements qui m’ont beaucoup touché, car ils ont mis en exergue le fait que le subconscient est un moteur créateur pour l’homme.

Dans cet album, j’ai d’abord écrit mes chansons en français et une musique en français, car la musicalité est différente en fonction de la langue. Comme la voix est un instrument, le langage est son outil.

Peux-tu nous parler de ton livre Le Lac aux Vélies ?

C’est un livre qui, dans sa forme à l’italienne, rend hommage aux contes - une page dédiée a l’illustration, une autre dédiée au texte en bilingue dans ma langue et traduit en français.

Le travail avec l’illustrateur m’a aidé à cerner mes personnages et comprendre en fait la densité de la vie qu’ils ont en moi. Quand j’écris des histoires, elles n’ont pas la prétention d’être littéraires. J’écris des suites d’événements, j’ai aussi des schémas, des arbres généalogiques… Grâce à Ludovic, notre travail ressemblait un peu à des séances de psy : je lui décrivais mes histoires comme ça et lui me posait des questions, je partais en fait en digressions, en définissant précisément leurs caractères liés aux événements que j’avais raconté. Progressivement, Ludovic découvrait des trucs que je gardais secrets, car je voulais surtout me concentrer sur Le Lac aux Vélies et ne pas partir dans tous les sens comme dans mes concerts.

Cette mythologie qui existe et qui vit en fait depuis toujours en moi est à la fois un exercice et une forme de don de ma personnalité qui me donne une optique de travail, un équilibre artistique pour véhiculer mes idées, mes sentiments. Même si je sais que ces choses viennent d’une partie violente de ma vie,  je suis résolu à le faire de cette manière sans l’imposer, et c’est pour cela que la forme a autant de place que le fond.


Les différentes voix de Nosfell sont-elles autant de personnages ?

Quand je module ma voix, j’imagine un dialogue entre un personnage et lui-même, ou entre deux personnages. C’est le rôle du personnage que j’incarne, Nosfell, personnage modeste sans pouvoir particulier. C’était aussi au départ l’idée d’utiliser la voix comme un instrument, et de voir où se situent mes limites, sans faire de démonstration. Au contraire, j’essaie de rester dans une trame artistique cohérente, et aussi d’être transparent sur la manière dont je vis les choses.

Comme beaucoup de personnes, je suis double, multiple, et j’ai envie d’assumer ça. Quand je suis sur scène, j’ai envie de jouer pour chacune des personnes et par pour une audience, car chaque individu, en fonction de ce qu’il a vu, vécu, est en mesure de ressentir. Je veux toucher cette chose impalpable chez chacun.

C’est l’héritage du surréalisme ou comment l’inconscient peut être un moteur créatif, comment ce type de création se révèle dans le public. Comme Gainsbourg, j’ai du mal avec l’écriture en surface. Il a dit en interview : “Mon maître, c’est Boris Vian, c’est le surréalisme, mais les gens veulent qu’on leur chante des chansons dans lesquelles ils aiment se reconnaitre“.