Lorsque, dans l'après-midi de ce samedi fatal, Dominique Strauss-Kahn est arrêté dans l'avion d'Air France qui doit le mener à un rendez-vous avec la chancelière d'Allemagne fédérale, il appelle immédiatement son avocat de Washington. William Taylor avait défendu avec succès le patron du FMI, dans le cadre d'une enquête interne diligentée après qu'il eut entretenu une liaison avec une femme mariée, travaillant au Fonds directement sous ses ordres. DSK, qui avait adressé une lettre d'excuses au conseil d'administration du FMI, regrettant une «erreur de jugement», s'en était tiré sans aucune sanction formelle. Taylor comprit immédiatement que les faits reprochés à son client étaient, cette fois, incomparablement plus graves. Il décide alors de faire appel à un gros calibre du barreau new-yorkais, le célèbre pénaliste Benjamin Brafman. Taylor et Brafman se connaissent personnellement depuis qu'ils ont défendu ensemble un prestigieux grand cabinet juridique, accusé de fraude.
Lorsque DSK comparaît, le lundi suivant, devant son premier juge américain - qui refuse de le libérer sous caution et l'envoie à la prison de Rikers Island -, il a déjà Brafman à ses côtés. Ce dernier prend la direction de la stratégie de la défense du plus célèbre prévenu d'Amérique. Dans ses grandes affaires précédentes, Brafman ne s'était jamais montré avare de commentaires à la presse. Mais là, il impose immédiatement, à l'entourage juridique, familial et amical de DSK, une consigne de silence absolu. Tout, demain, pour la Cour; rien, aujourd'hui, pour la presse. Les chroniqueurs judiciaires américains interprètent ce silence comme une volonté de plaider, le moment venu,une relation sexuelle consensuelle.
Le jeudi suivant, en pleine frénésie médiatique, Brafman s'envole calmement vers Tel-Aviv, pour participer à un événement familial. C'est son second, William Taylor, qui va ce jour-là plaider devant la Cour suprême de l'État de New York, et obtenir la libération sous caution de DSK. En Israël, Brafman recevra les seuls journalistes du quotidien Haaretz et de la télévision française TF1, pour leur dire sa certitude que son client finira par être acquitté. La signification de cette unique déclaration à la presse est très claire: la défense ira jusqu'au procès, elle plaidera non-coupable, elle ne passera pas de marché préalable avec l'accusation. Dans les deux lettres qu'il a adressées au FMI, DSK a répété qu'il était entièrement innocent de toutes les charges retenues contre lui par le parquet de l'État de New York.
Comment Brafman - qui défendit naguère Michael Jackson dans une affaire de pédophilie - peut-il être si confiant dans sa capacité d'obtenir l'acquittement de son client? Le pénaliste sait que le droit américain, si dur avec les prévenus en début de procédure, peut leur être plus favorable à la fin. La culpabilité d'un inculpé ne peut en effet être prononcée que par le vote unanime de 12 jurés, tirés au sort dans la population new-yorkaise. Ces jurés ne prononcent la culpabilité d'un accusé que s'ils en sont persuadés «au-delà de tout doute raisonnable». La stratégie de Brafman va donc être de susciter un doute parmi les jurés - un seul suffisant pour faire sortir libre DSK. Pour cela, il va,avec l'aide de dizaines de détectives privés qu'il a recrutés, fouiller l'intégralité du passé de la plaignante, espérant y trouver quelque fait qui ébranlerait la crédibilité de son témoignage.
À partir de l'audience du 6 juin, le juge Michael Obus de la Cour suprême de l'État de New York va ordonner le début d'un processus de «discovery», obligeant l'accusation à livrer à la défense l'intégralité de ses pièces à conviction. Chacune sera évidemment examinée à la loupe par l'équipe des enquêteurs de Brafman. L'avocat pourra demander au juge de disqualifier certaines d'entre elles, au motif qu'elles ne seraient pas pertinentes ou peu probantes.
Jeudi dernier, Brafman et Taylor ont écrit une lettre de deux pages au juge Obus, pour lui demander de faire cesser les fuites dans la presse orchestrées par la police. Il est vrai que le New York Times avait publié sur son site internet une séquence visuelle de cinq plans de la suite 2806 du Sofitel, agrémentés de flèches représentant, «selon la police», les mouvements (agressifs) du prévenu et ceux (défensifs) de la plaignante, pendant les quelques minutes du drame.
Par parenthèses, la direction du grand hôtel de la 44e Rue, qui se refuse à tout commentaire sur l'affaire depuis son début, s'est contentée d'affirmer au Figaro que le plan publié par le New York Times n'était pas exact. Dans cette lettre au juge Obus, les deux avocats de DSK ont dit qu'ils détenaient un témoignage très préjudiciable à la crédibilité de la plaignante, mais qu'ils ne le faisaient pas fuiter dans la presse, afin «de ne pas influencer prématurément les futurs jurés».
Dans un grand procès à l'américaine, le silence peut être d'or et la parole d'argent, jusqu'à ce que les avocats portent leur estocade, au moment de leur choix, devant un jury populaire, qu'ils auront préalablement préparé à recevoir de «sensationnelles» révélations.