un pigiste a deux façons de fonctionner : sur commande (un journal lui commande un article, ou alors, il suscite la commande en proposant le sujet), ou de son propre chef (il réalise d’abord le reportage, puis il essaie de vendre l’article, ce qui est plus risqué),
un pigiste tente souvent, non pas de vendre plusieurs fois le même article (encore que …), mais de réaliser, pendant un même reportage, plusieurs sujets, pour différents magazines, histoire de rentabiliser son temps et son voyage : certains de ces articles ne voient jamais le jour, des reportages réalisés restent “dans les cartons” (ou dans la tête du pigiste) …
c’est ce qui est arrivé à celui-ci, prévu pour ma rubrique récurrente “escapades gourmandes” dans Gazoline : le rédac-chef a profité de l’occasion pour me demander de me recentrer sur des destinations “accessibles en voiture”, du coup, exit Saint-Pierre et Miquelon (que vous retrouverez dans Voyageur en septembre et dans Regards & découvertes en avril, que vous auriez dû retrouver dans Thalassa, qui a eu la bonne idée de fermer boutique pendant qu’on était sur l’Archipel), de là-bas, j’ai aussi fait une chronique sur France Inter, en direct dans la matinale de Florent Châtain …
elle est pas simple tous les jours, la vie d’un pigiste !
Saint Pierre-Brice et Miquelon
Je ne sais pas vous, mais moi, l’Archipel de Saint-Pierre et Miquelon, il me fait rêver depuis que je suis tout gosse : je serais bien en peine de vous dire pourquoi, mais, depuis des années, je rêve d’y aller, je rêve d’aller découvrir ces îles paumées, que j’imagine gelées, isolées, où la vie doit être rude, sauvage …
J’en reviens, je peux vous dire que je ne le regrette pas !
D’abord, je vous les situe : l’Archipel de Saint-Pierre et Miquelon est juste à côté de la Province canadienne de Terre-Neuve & Labrador, à 4 750 kilomètres de la métropole, dans ces belles terres francophones d’Acadie.
On y accède en avion, via Montréal (deux heures de vol), Halifax ou Moncton, avec Corsairfly, la compagnie de Nouvelles Frontières (il n’y a pas de liaison directe au départ de Paris).
On a tendance à les voir au nord, voire au pôle nord, mais non, vraiment pas : les îles de Saint-Pierre et de Miquelon sont 200 kilomètres plus au sud que Paris, à peu prè à la hauteur de Nantes (Montréal est à la hauteur de Bordeaux). Il y fait un peu froid, l’hiver, à cause des courants du Labrador, il y pleut aussi de temps en temps, à cause de la rencontre des courants froids du Labrador et des courants chauds du Gulf Stream, qui provoque comme qui dirait des étincelles.
C’est pas la foule !
Il y a environ 6 300 habitants dans l’Archipel, dont un peu moins de 600 à Miquelon et à Langlade, les deux plus grandes îles, qui sont aussi les moins peuplées : elles sont reliées entre elles par un isthme de sable de douze kilomètres.
Sur Saint-Pierre, la plus petite des trois îles, est concentrée la vie économique, politique, administrative.
On passe de Saint-Pierre à Miquelon en bateau ou en avion, avec Air Saint-Pierre (neuf minutes de vol), de Saint-Pierre à Langlade en bateau, avec le Saint-Georges, qui teuf-teuf pendant une heure en longeant l’île aux Marins, ancienne île aux chiens, en contournant le Grand Colombier, refuge protégé des oiseaux marins, puis en suivant la côte déchiquetée, colonisée par les phoques.
Sauvage, la nature !
Saint-Pierre et Miquelon, on s’y promène, dans une nature sauvage, préservée, protégée … On s’y promène en bateau, bien sûr : tout le monde en a un, parfois un doris, le bateau traditionnel des pêcheurs, plus souvent une plate, en alu, qui tape dur sur les vagues quand la mer s’emballe, parfois juste une barque à moteur.
Je suis allé en mer avec deux Basques plus vrais que nature : on a philosophé en regardant les pitreries des macareux et des phoques, craintifs et curieux, en se laissant dériver sur une mer d’huile … un grand moment !
On va, le soir après le travail, relever les casiers à homards : chaque famille peut en immerger cinq, et ramener trois homards par jour.
On va observer les baleines, les phoques, les rorquals, les dauphins, ou les macareux moines : on comprend vite pourquoi on les surnomme les “oiseaux clowns” !
On s’y promène aussi à pied : le tour de Saint-Pierre est vite fait (encore que), mais on peut marcher jusqu’à épuisement à Langlade, quasi-déserte, ou à Miquelon, montagneuse et peu explorée.
On y croise des chevaux semi-sauvages (le fameux cheval de Miquelon), des cerfs de Virginie, des oiseaux (plus de 300 espèces) et, au Grand Barachois (une lagune sablonneuse), plusieurs colonies de phoques …
Des homards gros comme des cockers
Saint-Pierre et Miquelon, aussi, on y mange : vous pensez bien que, dans le cas contraire, je n’aurais pas fait la route !
Je dois vous faire une confidence : je suis tombé amoureux des coquilles Saint-Jacques géantes de Saint-Pierre et Miquelon.
Mon désormais copain Jo m’a emmené en mer, sur son chaland, au large du petit port de Miquelon, où il élève 11 millions de coquilles (à une ou deux près, quand même).
Il a sorti ses lanternes de l’eau : ce sont des grosses chaussettes à étages, accrochées à un câble immergé, long de 450 mètres, qu’on appelle une filière : les coquilles prisonniàres sont plongées dans la mer jusqu’à ce qu’elles atteignent 24 cm de diamètre.
Jo m’en a ouvert deux ou trois, pour me les faire goûter : c’est un délice !
J’ai même un moment envisagé de tout laisser tomber, de m’installer là , dans le chaland, pour surveiller les lanternes jusqu’à la fin de ma vie, mais il me restait d’autres choses à découvrir, alors, je me suis donc fait violence.
Il y a tout à côté de chez Jo un petit resto, appelé “le snack-bar à choix” (jeu de mots local que les mayous de métropole peuvent ne pas piger), qui sert une délicieuse omelette aux coquilles Saint-Jacques.
Il y a aussi Paulette, la Reine de la tarte aux moules, dont elle garde jalousement la recette secrète (c’est une béchamel faite avec le bouillon de cuisson des moules, mais c’est pas moi qui vous l’ai dit !).
Les coquilles, à Saint-Pierre, on les déguste fumées (absolument divin en salade, avec des pâtes, ou nature), on les mange poêlées, flambées, en blanquette (comme le homard), en chaudrée, en sauce !
On mange aussi du capelan, une sorte de petit éperlan qu’on chope la nuit avec une sallebarde, une sorte de grande épuisette, quand le capelan roule à hauteur de botte : on le mange au goûter, avec du pain, du beurre et du thé (on le mange séché au soleil, légèrement salé, éventuellement grillée).
Saint-Pierre et Miquelon, c’est aussi le homard, gigantesque et pas cher (17 euros le homard entier au resto), ou le crabe des neiges, dont la chair est d’une finesse incomparable : rien à voir avec un crabe lambda (désolé pour les pêcheurs de crabe lambda). Le crabe des neiges justifie à lui tout seul le voyage !
Base arrière d’Al Capone
Saint-Pierre et Miquelon, bien sûr, c’est la pêche, la pêche à la morue : les anciens racontent le port envahi de goélettes venues du monde entier, la vie trépidante des pêcheries, le travail dur mais rémunérateur ! La zone de pêche a été fortement réduite en 1992, à la demande du Canada : on a négocié comme des buses (mais où donc était Cécilia ?), on a tout perdu.
La pêche, à Saint-Pierre, est devenue anecdotique : il y en a bien qui essayent d’élever du poisson, des coquilles, d’exporter le homard et le crabe aux USA, de transformer les algues, mais ce n’est plus comme avant !
L’histoire de l’Archipel est évidemment maritime : plus de 600 bateaux ont fait naufrage sur ses côtes rocheuses, pas toujours hospitalières, ils se sont échoués sur des bancs de sable, ou ils ont été victime du brouillard, épais, qui tombe sans prévenir.
Il y a des trésors enfouis, des fantômes errants, des pirates planqués dans les dunes.
Il y a aussi Al Capone, qui a utilisait l’île comme base arrière : il importait du rhum des Antilles pour le faire entrer discrètement sur le territoire américain, tout proche.
Passer du temps à Saint-Pierre et Miquelon, c’est passer du temps sur un Caillou perdu qui franchement vaut le séjour, le détour.
Moi qui rêvait de passer un hiver coupe du monde, en compagnie d’une cheminée, d’un tas de provisions et d’une pile de bouquins, face à une mer déchainée, je suis content : j’ai trouvé, sur l’île de Langlade, une cabane qui peut m’accueillir.
Je vous raconterais, si je reviens (c’est pas gagné). Bonnes routes, OK-tôt !
Carnet d’adresses
Comité Régional du tourisme, place du Général De Gaulle, 0508/41 02 00
Je vous conseille trois restos à Saint-Pierre (la Voilerie, la brasserie Ile de France et le Feu de braise), le snack-bar à choix à Miquelon, quatre hôtels à Saint-Pierre (les Iris, l’Hôtel Ile de France, l’Auberge Saint-Pierre et les Quatre Temps, qui fait aussi resto), et une chambre d’hôte, à Langlade (Chez Marlène).
Visitez le musée de l’Hermitage et le musée de Miquelon, faites un tour en mer avec le Club de voile (trois heures en zodiac, avec pause-café), allez vous promener sur l’île aux marins (sorte d’écomusée habité le week-end). Baladez-vous à Langlade et Miquelon à cheval, avec Vicky (tout le monde se connaît et Vicky dirige le seul centre équestre de l’Archipel, vous ne pouvez pas la rater).
le petit encadré pour remercier la compagnie aérienne qui nous a invité à son bord (pas toujours simple à négocier) …
On rejoint Saint-Pierre et Miquelon avec Corsairfly, l’été, via Moncton (Canada), pour environ 700 euros (jusqu’à Moncton), le reste de l’année avec Air France, via Montréal (l’été reste la meilleure période pour y aller).
Il existe une autre possibilité, via Halifax (Canada), et Reykjavik (Islande), elle est commercialisée sur l’île par Horizon, une agence locale, qui propose des forfaits Saint-Pierre - Paris (AS) à partir de 1 000 euros (www.touringspm.fr).
Une seule compagnie atterrit sur l’île : Air Saint-Pierre.
Comptez entre 340 et 380 euros pour un Saint-Pierre - Moncton, entre 680 et 760 euros pour un Saint-Pierre - Montréal, qu’il faut réserver directement (www.airsaintpierre.com).
Ce n’est pas donné, d’aller à Saint-Pierre et Miquelon, mais, sur place, pour un touriste, la vie n’est pas chère : les hôtels, les restos, le taxi et les loisirs sont très accessibles (évitez le vin), les balades ne coûtent rien !
www.corsairfly.com, 0 820 042 042 (0,12 euro/mn HT depuis un poste fixe) ou 3260 (dites Corsair), 7 jours sur 7, de 7 h à 22 h
Chaque magazine a son style : Gazoline me demande, dans cette rubrique, des articles courts, généralistes, écrits sur un ton familier qui s’adresse directement au lecteur …