Le premier titre, La Ville, n’est pas à proprement parler un roman graphique. Il s’agit plutôt d’une série de « photographies » bâties autour d’éléments clé qui constituent sa vision d’une grande ville : les grilles d’aération, les perrons, le métro, les déchets, le bruit, les bouches d’incendie, les égouts, les murs, les fenêtres... Eisner y décline en une succession de saynètes brèves, souvent sans texte, des petites fictions censées selon lui représenter l’essence même de la grande ville telle qu’elle est vue par ses propres habitants.
Avec L’immeuble, l’auteur convoque les esprits de quatre personnes ayant vécu dans un immeuble aujourd’hui détruit. Il raconte ces vies « fantomatiques » dont le destin est resté intimement lié au lieu qu’elles ont habité.
Les trois nouvelles qui composent Les gens, dernier tome de la trilogie, sonnent comme un constat sombre et désespéré : aujourd’hui plus que jamais, la ville est peuplée de gens invisibles. Un univers kafkaien où le rythme de vie frénétique des citoyens ne laisse aucune place aux existences individuelles.
Si vous ne connaissez pas Will Eisner, un des plus grands maîtres de la BD mondiale, c’est l’occasion rêvée de le découvrir. En regroupant pour la 1ère fois cette trilogie dans une intégrale, les éditions Delcourt offrent à leurs lecteurs un magnifique cadeau. L’auteur propose une vraie leçon de BD. Un trait souple et doux d’une grande expressivité, un noir et blanc maîtrisé avec pour seule couleur une encre diluée qui offre différents ton de gris du plus bel effet. Et puis que dire de ce découpage ? Eisner possède un art consommé de l’ellipse, cet espace invisible entre deux cases permettant au lecteur de construire mentalement une réalité globale et continue qui constitue l’essence même de la bande dessinée. Mais au-delà des qualités purement techniques de cette trilogie, il y a dans les différentes nouvelles une force narrative absolument remarquable.
Ce pavé de 400 pages est plus qu’une simple intégrale regroupant trois titres distincts. C’est une œuvre cohérente offrant le regard porté par un artiste sur sa ville. Pour moi, une lecture indispensable si l’on souhaite parfaire sa culture bédéistique.
New York Trilogie de Will Eisner, Éditions Delcourt, 2011. 424 pages. 29.90 euros.