Ecrit par Guy Mettan et Christophe Büchi, ce Dictionnaire impertinent de la
Suisse, édité par Slatkine ici, peut se lire tout aussi bien de A à Z, qu'au petit bonheur la chance en ouvrant
n'importe quelle page ou en recherchant un mot qui se rapporte typiquement à la Suisse.
Après une longue carrière de journaliste dans la presse écrite genevoise, Guy Mettan s'est mis à faire de la politique dans les rangs du Parti Démocrate-Chrétien. Il est
actuellement député au Grand Conseil genevois, dont il a assumé la présidence l'an passé. Christophe Büchi est correspondant de la vénérable Neue Zürcher Zeitung en
Suisse romande.
Le dictionnaire, qui a été concocté par ces deux complices, est impertinent d'une manière générale, mais surtout à l'égard de ceux qui ne voient pas l'intérêt de la Suisse à adhérer à
l'Union européenne, qui ne crachent pas sur la mâne que rapportent les forfaits fiscaux, qui défendent le secret bancaire ou sont pour une Suisse indépendante
et neutre.
Ils disent donc ironiquement que Bruxelles est "un lieu de perdition", que "par sa taille et son importance,
l'Union européenne aurait mérité sa place dans le dictionnaire. Mais étant donné la position des Suisses à son égard, impossible de la mettre ailleurs que dans les refusés".
Le forfait fiscal, selon eux, "récompense en principe ceux qui ont longuement accumulé de l'argent à la sueur du front des autres sous de lointaines latitudes et qui demandent l'asile en Suisse afin de fuir les persécutions de leur pays d'origine".
Le secret bancaire ? "Certains pays ont du pétrole, du gaz ou de l'uranium, la
Suisse a le secret bancaire. Hélas pour les Suisses, cette ressource quasi naturelle du terroir helvétique s'avère en voie d'épuisement rapide."
La neutralité ? "Formule incantatoire de la droite anti-européenne, la neutralité sert à justifier l'inexistence de la politique étrangère
suisse".
Bref la Suisse est le "dernier village gaulois - avec le Liechstenstein ! - qui résiste à l'envahisseur européen".
Les auteurs sont mieux inspirés quand ils s'en prennent au détournement de sens de la subsidiarité :
"Mot fétiche du vocabulaire politique qui signifie qu'on peut déléguer à d'autres ce qu'on ne veut pas payer soi-même."
Ou quand ils se moquent gentiment du "cantonalisme" en racontant cette petite histoire :
"Un Allemand, un Français et un Suisse discutent de la question de savoir d'où viennent les bébés. L'Allemand prétend qu'ils sont apportés par la cigogne, le
Français affirme qu'on les engendre en faisant l'amour. Ils demandent ensuite au Suisse comment cela se passe chez lui. Réponse : "Cela dépend des cantons.""
Le portrait qu'ils dressent de Jacques Chessex est bien impertinent, mais assez juste :
"Ecrivain vaudois ayant su vendre aux lecteurs français un cocktail efficace fait de tourments calvinistes et de perversions campagnardes."
Ils ont pour Micheline Camy-Rey, la ministre des Affaires étrangères, les yeux de Rodrigue, tout en gardant les pieds sur terre :
"Avec elle, la Suisse a presque eu une politique étrangère. Mais c'était avant que Kadhafi ne s'en mêle."
Ils peuvent être rosses, notamment avec Jean Ziegler :
"Retraité, l'ancien élu rugit contre les gnomes de la planète entière depuis sa cage dorée de conseiller de l'ONU."
Ou avec Jean-Luc Godard, ce qui leur permet de donner dans l'autodérision helvétique :
"Cinéaste français d'origine suisse, selon la formule en usage dans les dictionnaires français. Pourtant ses films sont bien suisses : il ne s'y passe rien, sûr de sûr !"
Roger Federer n'échappe pas à leur impertinence :
"Il est peut-être un peu trop pondéré et un peu trop lisse : bref un peu trop suisse. Mais il est
en net progrès quand il perd devant Nadal."
Même s'ils ont mauvais esprit, les auteurs ont au moins de l'esprit. D'accord ou pas avec eux, il faut se rappeler que, pour faire mouche, les propos impertinents doivent s'appuyer
sur un fond de vérité. C'est parfois caricatural, certes, mais c'est bon pour garder l'esprit critique.
Francis Richard