Alors que la situation politique se stabilise en Côte d’Ivoire, l’urgence humanitaire, elle, continue dans l’ouest du pays. Mohamed Sylla, Coordinateur des programmes de sécurité alimentaire et moyens d’existence d’ACF en Côte d’ivoire depuis le début de la crise, explique pourquoi la crise alimentaire sera durable.
Question : Aujourd’hui, la situation politique se stabilise. Comment expliquer alors que les besoins alimentaires soient toujours importants dans l’Ouest?
Mohamed Sylla : Il y a un déficit de production agricole important. C’est le résultat de la longue période d’instabilité qui a résulté des élections. Fin 2010, face aux incertitudes politiques et aux craintes d’une véritable crise, beaucoup d’agriculteurs ont décidé de ne pas semer en novembre, comme les autres années. Ils pensaient que c’était trop risqué. Ils ont donc repoussé les semis le plus tard possible. Or, c’est au moment de la récolte que les combats ont éclaté, notamment autour de Duékoué, forçant les agriculteurs à abandonner leurs champs. Ces personnes n’ont donc ni récoltes, ni ressources financières pour acheter de la nourriture. Et ce qui est inquiétant, c’est que n’ayant pas de récolte, elles n’ont pas non plus de semis pour l’an prochain.
Dans ces conditions, jusque quand les pénuries alimentaires pourraient-elles durer ?
Mohamed Sylla : On risque de rester dans une situation d’urgence alimentaire dans les 14 mois à venir. Pourquoi ? Tout simplement parce que les gens qui ont raté cette saison, soit parce qu’ils sont déplacés, soit parce qu’ils n’ont pas de quoi semer, devront attendre un an pour ressemer. Le déficit agricole ne se résorbera que lentement. On s’attend à ce que les mois à venir, à partir de juin-juillet, soient particulièrement durs, car on amorce la période de soudure, celle où les greniers sont vides.
Que peut-on faire pour favoriser la relance agricole ?
M.S: Outre les distributions de nourriture et la prise en charge de la malnutrition, Action contre la Faim a un programme de relance agricole qui vise 3000 ménages. Il s’agit de distribuer des semences, des outils et de donner un appui technique aux agriculteurs pour les aider à reprendre leur activité. Afin d’éviter qu’ils n’aient à puiser dans les stocks de semences pour se nourrir en période de pénurie, des « rations de protection » leur sont aussi distribuées. Mais l’étendue des besoins est immense : on estime que 80% de la population qui pratique l’agriculture ne cultivera pas cette saison! C’est pourquoi il faut essayer de mettre en place des programmes aux effets « démultiplicateurs. » Dans ce but, ACF prévoit de soutenir des groupements de producteurs qui travaillent sur la multiplication des semences, dans l’idée de pouvoir alimenter à nouveau les foires agricoles locales.
Beaucoup de déplacés n’envisagent pas de rentrer chez eux avant des mois. Les déplacements de population ont-ils eux aussi un impact sur la sécurité alimentaire des ménages ?
Mohamed Sylla : Bien sûr ! Les familles « hôtes », qui accueillent des déplacés, sont doublement touchées : d’une part, elles ont vu leurs revenus affectés par la crise; d’autre part, ayant à nourrir plusieurs personnes en plus des membres habituels du foyer, elles ont vu leurs dépenses alimentaires augmenter. Certaines sont donc obligées de diminuer le nombre de repas.
A-t-on détecté les taux de malnutrition importants ?
M.S: Les évaluations rapides nutritionnelles menées par ACF dans la zone de Bongolo, par exemple, ont mis en évidence des taux de malnutrition aiguë sévère élevés parmi les enfants dépistés. Il est essentiel de traiter la malnutrition, non seulement parce que beaucoup de ces enfants sont en danger de mort, mais aussi parce que la malnutrition affecte leur développement physique et mental à long terme, leur capacité à apprendre et donc leur réussite scolaire, professionnelle… C’est pourquoi ACF intervient depuis des années dans ce domaine. Combattre la malnutrition, c’est aussi aider à construire la Côte d’Ivoire de demain.