Journaliste et reporter, Martine Carret apprend à 44 ans qu’elle est atteinte d’un cancer du sein agressif de forme héréditaire. Adepte de la plongée sous-marine, elle va traverser la période des traitements, sans renoncer à sa passion. Mais ce cancer génétique qui a déjà emporté 4 de ses parentes, dont sa mère et sa grand mère, plane au dessus des femmes de sa famille. S’engage un long combat contre les médecins ignorants des risques qu’elles encourent. Son livre est un guide pour les patientes et un véritable manifeste à l’attention d’un corps médical mal informé. Martine a gentiment répondu à mes questions.
CC : Pouvez-vous nous raconter votre histoire avec le cancer
M.C : Elle débute dans mon enfance. Aînée d’une fratrie de six, ma mère (15 ans) élève ses frères et sœur. Sa mère est décédée d’un cancer du sein à 39 ans. Cela a soudé notre famille, m’a rendue proche de mes jeunes oncles. J’ai 13 ans lorsque ma mère est opérée d’un cancer du sein, 18 lorsqu’elle décède. Le médecin me prévient que je dois faire attention (pas de pilule contraceptive). Je débute la surveillance à l’âge de 30 ans, mammographie annuelle, puis échographie quand les appareils font leur apparition. Je vis parfaitement, sans y penser. Hérédité ne signifie pas fatalité. Je suis surveillée, mais pas inquiète du tout. Je me rends aux rendez-vous sans appréhension, pensant que la foudre ne frappe jamais trois fois dans la même famille. En avril 2009, lors d’un reportage, en passant de la crème solaire, allongée sur un bateau, je sens comme un petit accroc sous le sein. Il n’y a pas de nodule perceptible, rien, pas de « boule ». On ne le sent pas lorsque je suis debout. Uniquement allongée, et encore allongée de côté. Je demande à passer des examens. Ma mammographie est parfaitement identique à celle de septembre 2008. Normale. L’échographie montre à peine une zone sombre. Le radiologue me prévient que si je suis une femme lambda, de la population générale, il ne pousse pas les investigations plus loin. Aucun signe de quoi que ce soit. Mes marqueurs sanguins sont normaux eux aussi.
Néanmoins, je passe une biopsie, seule manière d’être certaine à 100%. La biopsie montre un cancer agressif, confirmé par IRM.
Je ne pleure même pas. Sous le choc. Je dois assumer, comme ma mère et ma grand-mère. Avec dignité. Sachant que je peux bénéficier de terribles avancées médicales. Je vais avoir ce qu’elles n’ont pas eu : des soins qui peuvent me permettre de guérir.
CC : Comment avez-vous combattu ce que vous appelez « l’hydre »?
M.C : Le cancer est un pollueur, un allien, qui essaime sur votre famille, qui frappe les autres, leur rapport à la vie/mort, qui entraîne la famille, les amis, qui remet en cause les certitudes et angoisses de chacun. Il s’éparpille et se diffuse aussi vite que les métastases.
Il essaie de vous tuer, mais tue aussi à petit feu ceux que vous aimez.
On pense lui avoir coupé la tête (il a déjà tué 4 membres de ma famille). Il ressurgit.
C’est aussi une hydre qui veut ma peau. La chimio l’a certes étouffée en 2010, mais génétiquement, je suis quasiment condamnée à récidiver (mutation génétique BRCA).
C’est un animal qui construit son propre réseau sanguin pour mieux vous contaminer, pour mieux diffuser les cellules cancéreuses.
Voilà pour les métaphores…
CC : Qu’est-ce qui vous a donné la force d’avancer lors de cette traversée?
M.C : Ma grande famille, mes oncles, sonnés, abasourdis, désespérés de me savoir malade, mes cousines… Mon petit frère que j’avais juré à ma mère de protéger. Même s’il a 40 ans, je ne pouvais pas le laisser tomber et partir de la même manière que ma mère. Cette reproduction de l’histoire était trop atroce.
Je devais prouver que la science avait progressé.
Un homme, revenu vers moi, au moment le pire de ma vie. Pour m’aider et m’encourager. J’ai vécu une très belle histoire d’amour, alors que j’étais malade. En fait, j’étais follement amoureuse… Le cancer, je n’y pensais plus. Je vivais mes émotions du jour et j’étais bien dans ses bras.
La plongée aussi. Je tournais en rond en France. Moi qui avais l’habitude de passer d’un avion à l’autre, j’étouffais, obligée d’attendre une piqûre toutes les trois semaines… Je n’en pouvais plus. Je suis donc partie plonger pendant la chimiothérapie.
Et puis, ma nièce voulait venir avec moi… Elle avait 8 ans. Allait-elle se souvenir de moi si je mourais ? Je voulais lui offrir de précieux moments à chérir… au cas où…
La force est venue de tous mes amis, qui se mobilisaient, me prouvaient qu’ils m’aimaient, comptaient sur moi.
Mes méthodes ?
Avant tout un blindage mental. Ne penser qu’à l’essentiel. Ne pas me préoccuper de l’accessoire (stupides courriers de la Sécu par ex). Me focaliser sur ce qui arrivait au jour le jour. Ne pas me poser de questions sur la bobologie qui pourrait peut être survenir… pendant la chimio.
Réagir au quotidien, en fonction des évènements, de mes réactions physiologiques.
Ne pas penser à ma mère, à ma grand-mère. Bloquer mes pensées. Me focaliser sur les découvertes, les protocoles, les solutions.
Etre acteur de mes soins. Réfléchir, poser des questions. Continuer à vivre normalement, à me dépenser, à travailler.
A chaque étape de la chimio, il y a un médicament qui aide. Je suis en France, avec un système de protection sociale formidable. Je peux me soigner. J’ai trop vu de dispensaires sordides lors de mes reportages. Je n’allais pas me plaindre ! Vous connaissez le nombre de femmes non soignées dans le monde ? Qui meurent en accouchant ? En France, nous avons des 5 étoiles luxe : psychothérapeutes, sophrologues, infirmières, esthéticiennes, oncologues… Je suis consciente de ma chance d’habiter dans un pays riche.
CC : A qui ce livre est-il destiné?
M.C : A toute femme qui éprouve le besoin de lire une histoire en se disant que finalement ca peut aussi bien se passer. A celle qui a besoin d’aide et de soutien, qui a besoin d‘y croire.
A l’entourage, qui ne comprend pas forcément ce qui se passe, qui ne sait pas comment réagir, qui a besoin d’un éclairage venant de l’extérieur.
Je donne aussi des tuyaux (beauté par exemple), des adresses. Et puis, il y a la partie génétique, importante en informations.
Pourquoi une révolte ?
Parce que je déteste l’injustice. Parce que je me suis rendue compte que bien des médecins ne connaissaient pas la mutation BRCA qui induit une prédisposition majeure aux cancers seins/ovaires. Et que ces mêmes médecins racontaient de telles énormités qu’ils mettaient en danger leurs patientes. J’ai six cousines de 40 ans environ. Pas un médecin/gynéco n’a eu de réaction appropriée lorsqu’elles ont annoncé qu’un gène était reconnu dans notre famille. Certaines ont changé de gynéco. Même topo. Même avec le certificat de l’Institut Curie expliquant qu’un test pouvait être effectué pour déterminer l’éventuelle présence de la mutation chez elles, leurs médecins ont raconté des âneries : « Cela ne vous concerne pas, c’est la branche paternelle ». J’ai pris peur pour elles. Devoir se battre contre des médecins est terrible ! Moi, j’étais parfaitement suivie et dans un protocole de surveillance et pas elles ! Injuste et dangereux. D’autant qu’en discutant avec des « BRCA « et des femmes à risque héréditaire, je me suis rendue compte que c’était monnaie courante.
Mon travail de journaliste revient donc à informer ces femmes, à leur faire prendre conscience que le gène BRCA (et d’autres) existe et à se faire surveiller étroitement. Avant la fameuse mammographie de 50 ans, qui dans le cas des cancers familiaux est totalement obsolète ! Les cas de cancer héréditaires se déclenchent en moyenne à 43 ans…
A donner l’alerte aux médecins aussi. Quand ils ne savent pas, qu’ils aient la décence de se taire ! Qu’ils lisent les documents qu’on leur donne et qu’ils orientent les femmes vers des unités spécialisées, en l’occurrence, des départements d’oncogénétique. Ne pas savoir n’est ni dommageable ni critiquable. Véhiculer des erreurs scientifiques sur la transmission génétique (cf non le père ne porte jamais la mutation BRCA) c’est de la mise en danger de la vie d’autrui.
Propos recueillis par Catherine Cerisey
Cancer même pas peur, un livre à se procurer d’urgence. (Préface de Gérard Holtz) : 17,58 euros à la FNAC
A lire aussi :