Magazine France
Poésie du samedi, 25 (Nouvelle série)
dédicace spéciale à André T.
Qu’un homme pût se nommer « Temple », je n’y croyais pas et pourtant ce patronyme, quoique rare, existe bien. Et Frédéric-Jacques Temple est un poète dont c’est le nom de baptême et non un pavillon de complaisance littéraire. Du moins il signe comme ça et j’ai décidé d’y croire, tellement un pseudo comme « temple » semble incroyable. Donc l'homme existe et il s’appelle Temple !
Mais comment peut-on bien habiter un tel nom ? N’est-ce pas trop lourd à porter ? Comment peut-on se sentir « temple » ? Sacré blase… Moi, j’aurais trop l’impression d’être né tout habillé, en portant un tel nom. Tout achevé, comme si plus rien n’était à construire, déjà monumental rien que d’être nommé ! Ou alors je me sentirais prédestiné à quelque fonction sacrée, hanté par quelque ministère sacerdotal, visité par la divinité dont le souffle irriguerait mes membres de pierre… Bref, investi d’une terrible responsabilité, dans l’inquiétude permanente que mes colonnes soient bien à la hauteur de ma mission.
Le poète Frédéric-Jacques Temple a su conjurer le poids de son nom en voyageant, notamment aux Etats-Unis et en particulier au Nouveau Mexique. Là, il a été reconnu comme un frère dans une famille d’Indiens Pueblos de Taos qui lui ont donné un nom dans leur langue, un second nom de baptême qui consacrait ainsi un voyage véritablement initiatique. FJ Temple raconte lui-même : « … Moitié espagnol, moitié anglais, il m'expliqua que les enfants m'avaient donne un nom. Je n'ai pu transcrire mon nom indien, mais je sais que depuis ce moment j'avais désormais à Taos des frères et des soeurs. J'étais pour le vieillard Achuleta, ses enfants et ses petits enfants, et peut-être pour les enfants de ceux-ci sur la terre et dans le ciel, celui-qui-marche-dans-le-soleil, parce que j'étais arrive chez eux de l'Orient » (Retour à Santa-Fe, 1999).
Tout est là : dans cet aboutissement du voyage, de la rencontre et de la fraternité. Le temple n’est donc pas nécessairement dans la pierreuse immobilité où le confinent trop souvent nos représentations spontanées. Il est aussi dans le Voyage, et précisément dans le Tabernacle biblique, la tente où l’homme peut approcher la présence divine. En ce lieu clos et sûr, instant fixe prélevé à la permanente mobilité pérégrine, la transhumance selon Temple ne s’effectue pas seulement à l’horizontale du parcours terrestre mais parvient à hisser l’homme jusqu’à la voie lactée, sœur lumineuse qui nous guide à travers la voûte étoilée… Mais entrez plutôt dans la…
Transhumance
A la pleine lune sonnez du cor
dans le désert pour la fête des tentes
O nomades mes beaux chercheurs de sources
caravanes vassales des étoiles
mères perdues dans le sable des jours
Nous proclamerons les Noms et les Nombres
qui marchent depuis le commencement
au souvenir des paroles premières
écloses dans la moiteur des troupeaux
sur la bouche des oracles bergers
Au temps du soir nous irons vers le puits
pour honorer la face du dieu-lune
dans le parfum des verveines nocturnes
quand chanteront les femmes d’ambre fauve
couchées parmi les chameaux blatérant
Voici que nous interrogeons le ciel
qui sans répit nous dit les mêmes signes
avant-coureurs des gestes abolis
O campements oubliés des légendes
flûtes brisées tambourins consumés
Sonnez du cor dans les villes mouvantes
qui n’ont repos qu’en le désir de l’eau
sur les chemins annulés par les vents
porteurs des vieilles odeurs de l’errance
dont le silence est l’unique savoir
Sonnez du cor levez-vous dans l’aurore
Qui nous revêt d’iris et de safran
Pliez les peaux affaitez vos montures
Il faut partir vers les herbes naissantes
Où l’ancienne mémoire nous attend.
Frédéric-Jacques TEMPLE (né à Montpellier en 1921), Paysages privés, Fata Morgana 1983. Des poèmes de Temple, Robert Sabatier écrivait fort judicieusement qu’ils « reproduisent les mouvements de la vie chaude et sensuelle, palpitante, plus solaire que nocturne. Les éléments, les saisons, les forces telluriques parcourent les unions de mots et d’intenses vibrations, comme si l’homme portait dans son corps l’univers qui le porte. » (Robert Sabatier, Histoire de la poésie française). Belle image qui résonne un peu comme la réalisation de son propre temple intérieur et/ou d’une harmonie universelle qui, à défaut d’être pleinement atteinte, est au moins pensable !
Mais l’homme est fini, même s’il lui arrive de s’imaginer « comme maître et possesseur de la Nature », de sillonner le Cosmos ou de tutoyer l’infini… Son Voyage doit être sans relâche remis en route et il admet inévitablement des errances et au moins un retour (Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage…) . Ce retour, Temple lui-même y a pensé et nous l’évoque sobrement comme un achèvement, toujours dans ses Paysages privés qui ont été repris dans son Anthologie personnelle (Actes Sud, 1999) :
Retour
Afin que tout soit accompli
qui est dans les pierres
et le sang primordial
je remonte à la source
sans un regard pour l’eau
qui polit les saisons
en toute innocence.