Depuis longtemps, j’avais envie d’aller voir une des expositions de Rurart, ce centre d’art implanté sur le site d’un lycée agricole, en pleine campagne à Lusignan près de Poitiers. Santiago Sierra m’en a fourni l’occasion. L’artiste s’est fait connaître par ses performances / actions où il achetait le temps de gens ordinaires, ouvriers, prostitués, immigrants, clochards, pour leur faire accomplir une action hors normes, ne reculant jamais devant la polémique du politiquement incorrect (son extraordinaire installation d’une chambre à gaz dans une ancienne synagogue fit beaucoup de bruit, par exemple, pas nécessairement pour de bonnes raisons).
Aujourd’hui, il se consacre principalement à NO, Global Tour : deux sculptures noires de 500kg représentant les deux lettres du mot NO circulent (en deux exemplaires ; un troisième, en marbre couvert de vaseline, est au musée Artium au Pays Basque) à travers le monde sur un camion. (Sierra travaille en parallèle sur un autre projet, d’autres lettres : il détruit, une à une, les sculptures des lettres du mot KAPITALISMUS, chacune dans un lieu symbolique).
Le camion avec NO parcourt donc les routes d’Europe ou d’Amérique du Nord, s’arrêtant subrepticement devant des lieux de pouvoir, le siège de Bank of America ou le sanctuaire de Lourdes, et faisant escale dans des musées ou des centres d’art ; Sierra privilégie aussi les lieux témoins du désastre économique, Detroit déserté ou un programme immobilier inhabité à Tolède, par exemple. Ce NO dans sa brutalité élémentaire, dans son refus essentiel, est la quintessence, la distillation de son travail précédent. Anti-slogan qui peut revêtir divers habits selon les lieux et les contextes, c’est une négation radicale, un ras-le-bol plus qu’une contestation militante. Elle évoque pour moi Bartleby plutôt que Lénine et aussi une scène d’un film américain oublié, où un présentateur de télévision à la veille d’être licencié demandait en direct aux téléspectateurs d’ouvrir leur fenêtre et de crier quelque chose comme ‘y’en a marre’ : tout Manhattan devenait un immense cri de colère, de lassitude, de révolte (quelqu’un peut retrouver le titre du film ?).
Les deux sculptures sont exposées ici ; elles portent les traces du voyage, quelques tags, de l’usure. Des photos au mur et un film (que je n’ai pu voir) racontent aussi ce global tour.
Mais le plus beau ici est le NO inscrit dans un champ de blé devant le lycée, réalisé par les Circlemakers, qui ont tracé les lettres et foulé le blé. Les UFOlogues seront sans doute intéressés par cette inscription dans le sol d'un anti-slogan radical. Merci au pilote d’ULM qui m’a permis de réaliser ces photos aériennes.
Photos de l'auteur excepté la deuxième, courtoisie de Rurart et de l'artiste (No, Global tour 2009, Lucca-Berlin).