L’AF447 livre partiellement ses mystčres.
On marche sur des œufs : faute de tout comprendre, faute d’informations suffisamment détaillées, la crainte des conclusions erronées retient le commentaire, interdit l’analyse, empęche tout début de conclusion. En un mot comme en cent, l’enquęte sur l’accident du vol AF447 Rio-Paris du 1er juin 2009 étant extraordinairement compliquée, on voudrait tout simplement pouvoir permettre au BEA de travailler sereinement, ŕ son rythme, et de s’exprimer au moment de son choix. Ce qui, de toute évidence, n’est pas possible, tant la pression est grande, qu’elle vienne des médias, des politiques et, dans une moindre mesure, des associations qui réunissent les familles de victimes.
Toutes les parties concernées passent systématiquement outre ŕ un repčre chronologique pourtant essentiel, ŕ savoir que les deux enregistreurs de vol ont été récupérés il y a moins d’un mois. La situation est donc celle, pour l’essentiel, d’une enquęte qui se pencherait sur un accident survenu dans la premičre quinzaine de mai. Et non pas il y aura bientôt deux ans. Qui plus est, l’épave gît par 3.900 mčtres de fond et, pour l’instant, seuls quelques débris ont été remontés ŕ la surface. Dans ces conditions, une quelconque impatience ne peut en aucun cas se justifier, ce qui est malheureusement loin d’ętre le cas.
Comme s’il convenait de compliquer davantage l’enquęte, de la polluer, d’alimenter les tenants de dénonciations diverses, une rčgle d’or de la sécurité aérienne est allčgrement bafouée. A savoir que de courageux anonymes s’expriment ici et lŕ, distillant de vraies-fausses confidences, lâchant des informations parcellaires, comme s’il s’agissait d’entamer sans plus attendre un travail de prévention, pour mieux atténuer le choc de conclusions et de recommandations, quand sonnera l’heure du bilan technique, c’est-ŕ-dire celle d’un rapport final encore bien loin de nous. Au fil des temps, le BEA a pourtant martelé qu’il tient uniquement compte de faits avérés et qu’en aucun cas il ne se risque ŕ la moindre spéculation. Une rčgle oubliée par les observateurs, et pas uniquement par les médias.
Pire, par moments, on marche sur la tęte. Voici qu’il faut lire un quotidien économique publié ŕ New York pour prendre connaissance de fuites venues d’on ne sait oů et qui ne sont certainement pas innocentes. Tel ou tel journal français tombe occasionnellement dans le męme travers et, en le lisant le crayon ŕ la main, on croit deviner qui est trop bavard. Il faut tout noter, tout mémoriser, en attendant l’heure des explications.
Les politiques français ne sont pas en reste et, lŕ encore, il faut ętre en mesure de décoder quelques messages subliminaux. Ainsi, plusieurs associations de victimes se sont adressées au Premier ministre, François Fillon, pour déplorer la publication d’informations prématurées et, ce qui est plus grave, pour critiquer ce que leur courrier appelle le déroulement chaotique de l’enquęte technique du BEA. Ce qui est d’ailleurs parfaitement injustifié. François Fillon, dit-on, a pris cette critique trčs au sérieux –ce qui ne signifie pas pour autant qu’il l’approuve- et a demandé que seule la parole officielle de l’Etat soit prise en compte.
Que craignent les familles ? Que la thčse du comportement inadapté aux circonstances de l’équipage ne soit privilégié pour mieux exonérer Air France ou Airbus de tout manquement. Il y a lŕ un problčme sérieux en męme temps qu’une confusion grave : l’enquęte du BEA a pour seul et unique objectif de reconstituer et de comprendre la séquence d’événements qui ont conduit ŕ la catastrophe, ŕ l’exclusion de toute recherche de responsabilité. Laquelle relčve exclusivement de la justice, aidée en cela par la gendarmerie des transports aériens. Le jour venu, c’est au tribunal qu’on en parlera, et nulle part ailleurs.
D’ici lŕ, il faudrait que les politiques se taisent. Chaque fois qu’ils interviennent, ils font des dégâts, surtout quand ils s’expriment en tant que Ťtutelleť du BEA. Tutelle entre guillemets, parce qu’il faut bien que le budget de fonctionnement des enquęteurs vienne de quelque part. Mais tutelle qui n’a pas le sens des responsabilités quand elle dit qu’il est souhaitable de déterminer les causes de l’accident avant le salon du Bourget. Quelle erreur, quelle faute de goűt, quelle non sens ! On voudrait dire qu’il faut exonérer Airbus de toute faute, pour protéger son carnet de commandes, on ne s’y prendrait pas autrement.
Autre cause de désordre, un collectif d’avocats français et brésiliens assigne Air France et Airbus et s’en prennent ŕ la conception de l’A330-200. Ce faisant, ils affichent d’incommensurables prétentions, celles de contester le savoir-faire du bureau d’études du numéro 1 mondial de la construction aéronautique civile. Et cela ŕ un moment oů les circonstances qui ont mené l’AF447 ŕ sa perte commencent ŕ peine ŕ ętre connues. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour anticiper dčs ŕ présent le défilé d’experts qui seront appelés ŕ la barre.
Quoi qu’il en soit, le BEA s’est trouvé dans l’obligation Ťmoraleť de s’exprimer sans plus attendre, c’est-ŕ-dire avant la préparation d’un rapport d’étape prévu, en principe, pour le début de l’été. Ce Ťpoint sur l’enquęteť expliquant le déroulement des derničres minutes du vol et dressant la liste de Ťnouveaux faits établisť vient trop vite, trop tôt, dans la mesure oů il soulčve une multitude d’interrogations que les enquęteurs n’ont pas encore pu décoder.
Ce point sur l’enquęte, déjŕ largement détaillé par l’ensemble des médias, est davantage qu’une chronologie. Il démarre avec un cumulonimbus qu’il convient d’éviter (il y a bien eu virage ŕ gauche dans ce but), continue par le désengagement du pilote automatique et de l’auto-poussée, le déclenchement de l’alarme de décrochage, la perte confirmée des indications de vitesse et, aprčs d’autres manœuvres, les ordres ŕ cabrer qu’on ne comprend pas, la vitesse qui s’écroule, l’incidence supérieure ŕ 35 degrés, un taux de descente qui devient vertigineux. Trois minutes et demie plus tard, tout était terminé.
On voudrait en savoir plus, tout de suite, la pression, nuisible, étant contagieuse. Plus tard, quand sera venu le temps des explications, il faudra reparler du contexte médiatique. Sa maîtrise échappe évidemment aux enquęteurs mais le désordre actuel fait du tort ŕ tout le monde.
Pierre Sparaco - AeroMorning