La controverse, suscitée par des juristes locaux, alimente les débats dans les plateaux spécialisés des chaînes de télévision nationales et passionne les internautes. Et pour cause, elle porte ni plus ni moins sur une possible inéligibilité du président en fonction, S.E Paul Biya, au cas où il souhaiterait se porter candidat à sa propre succession.
Pour avoir une idée scientifique sur la question et afin d’éclairer objectivement et avec discernement ses fidèles lecteurs, Cameroon Tribune a sollicité l’éclairage du Pr. Narcisse Mouelle Kombi, agrégé de
droit public et science politique et directeur de l’Institut des Relations internationales du Cameroun (IRIC). Un entretien à bâtons rompus au cours duquel le spécialiste confond de manière scientifique les tenants de ces spéculations pseudo-juridiques.
« Ce soi-disant débat tient de la mauvaise foi »
Le regard du Pr. Narcisse Mouelle Kombi.
Il se développe une curieuse controverse ces temps-ci sur l’inéligibilité du président Paul Biya à la prochaine élection présidentielle. Un tel débat est-il pertinent ?
La controverse alimentée par ce débat me semble inopportune parce que précisément les arguments dont elle se nourrit manquent de pertinence et souffrent d’un déficit flagrant de cohérence juridique. Ce soi-disant débat tient au mieux de la mauvaise foi et au pire d’un activisme pseudo-juridique de ceux qui précisément s’étaient opposés sans succès et sans fondement à la révision constitutionnelle de 2008. L’inéligibilité ne se présume pas, elle ne peut pas être construite sur la base d’arguties ou de raisonnements spécieux qui à défaut de s’apparenter à des contre-vérités juridiques constituent un défi à l’orthodoxie et à la logique juridiques. Dans l’Etat de droit et dans le système démocratique qui sont les nôtres, il y a des instances, des procédures et des mécanismes constitutionnels qui permettent d’établir l’éligibilité ou l’inéligibilité d’un candidat.
La constitution aujourd’hui permet-elle au président Paul Biya d’être candidat ?
Absolument et évidemment. Du point de vue de l’analyse juridique stricte, telle que l’on ne peut en subvertir ou en travestir l’esprit sauf à faire montre d’un manque de discernement, de lucidité ou d’objectivité dans son interprétation. Car l’article 6 alinéa 2 issu de la révision constitutionnelle du 14 avril 2008 est sans équivoque et sans ambiguïté. Il dit clairement que le président de la République est élu pour un mandat de sept (7) ans. Il est rééligible. Cette rééligibilité est sans réserve. Il en découle l’absence de limitation du nombre de mandats, donc la rééligibilité possible du président en fonction, au cas où il serait candidat, à la prochaine élection présidentielle.
Qu’est-ce qui justifie donc cette controverse?
Il est à déplorer de la part de certaines spéculations pseudo-juridiques un déficit d’objectivité et de discernement dans l’interprétation de l’article 6 alinéa 2 des conséquences qui en découlent. Il y a une maxime fondamentale qui, pour ceux qui veulent interpréter ou appliquer la constitution. La constitution doit être interprétée de bonne foi. Nous disons la constitution, toute la constitution et rien que la constitution. Et dans l’Etat de droit qui est le nôtre il n’existe pas d’autre norme fondamentale supérieure à celle-là. Il ne faut donc pas lui faire dire ce qu’elle ne dit pas.
La révision constitutionnelle de 2008 avec précisément pour but de lever le verrou de la limitation des mandats. Ce verrou a été levé dans des conditions parfaitement conformes à la constitutionalité et à la légalité républicaine. De la sorte, aucune entrave juridique à la candidature éventuelle du président Paul Biya n’existe dans la loi fondamentale. Il n’en irait autrement que si le constituant, lors de la révision avait explicitement et expressément exclu le président en fonction du bénéfice de l’application de la clause de non limitation des mandats. Or tel n’est pas le cas. Au contraire, l’esprit et la lettre de la révision visent à permettre à tout candidat présidentiable de bénéficier de la non limitation des mandats présidentiels, donc de la rééligibilité.
En clair, le président Paul Biya, élu en 2004 sous le régime de la limitation des mandats est rééligible…
Absolument. Il est constant en droit que la loi n’a pas d’effet rétroactif, elle ne dispose que pour l’avenir. Ce sont des principes élémentaires mais fondamentaux de tout ordre juridique. La loi constitutionnelle de1996 limitant les mandats a été expressément et valablement abrogée en 2008. Ainsi son abrogation légale empêche qu’elle puisse encore produire un quelconque effet juridique pour l’avenir, la loi nouvelle ouvrant la possibilité de la rééligibilité illimitée à partir du moment où elle est entrée en vigueur dès sa promulgation. Elle seule et exclusivement elle dispose désormais pour toutes les élections présidentielles à venir y compris celle de 2011, tout comme pour tous les candidats y compris le président Paul Biya au cas où il serait partant pour un nouveau mandat.
Si l’on comprend bien, la clause relative à la limitation des mandats, de 1996, ne peut plus être invoquée dans tous les cas de figures…
Bien entendu. Cette disposition gît désormais dans l’immense cimetière des textes abrogés. Dans cette logique, le président en fonction n’est pas soumis à des conditions d’éligibilité autres que celles fixées par l’article 6 aliéna 5 de la constitution et définies par loi du 17 septembre 1992 et ses modifications subséquentes fixant les conditions d’élection et de suppléance à la Présidence de la République, conditions qui sont les mêmes pour tous les candidats. Il s’agit maintenant de l’application normale du principe bien connu de l’effet immédiat des textes en vigueur. Ainsi, la suppression de la clause constitutionnelle de limitation du nombre des mandats offre immédiatement et automatiquement au président en fonction, s’il le souhaite, la possibilité de se porter candidat à sa propre succession. Et c’est au peuple souverain qu’il appartiendra de décider dans le cadre du suffrage universel direct de sa réélection éventuelle.