memento mori

Publié le 29 mai 2011 par Hoplite

Passé quelques jours près de l’ancienne Aquiléria (aujourd’hui Eygalières), petit village des Alpilles niché sur un éperon rocheux et qui doit son nom au fait que les romains y puisaient l’eau qui alimentait Arles. Contraste assez marquant d’ailleurs, entre cette eau que l’on voit peu (hormis quelques canaux d’irrigation) et l’aridité apparente des champs d’oliviers aux herbes sèches. Des paysages magnifiques faits de rangées d’oliviers, d’amandiers, quelques vignes à l’ombre des replis rocheux, ces barres calcaires déchiquetées des Alpilles qui ont éveillé en moi le souvenir des paysages décrits par Pagnol. Des mas partout orientés Nord-Sud (pour s’abriter du Mistral), aux petites ouvertures laissant passer la lumière mais non la chaleur ; des cyprès au nord et à l’est, pour couper les vents dominants, des platanes et des micocouliers sur le versant méridional des habitations, pour rafraîchir la façade et les hommes.

En sortant d’Aquiléria, sur la route d’Orgon, une petite chapelle dite Saint-Sixte, sur un petit tertre rocailleux et située à l’emplacement d’un temple païen dédié aux eaux. Je gare ma camionnette sous un panneau me disant de ne rien laisser dans mon véhicule.  Le genre d’endroit où le voyageur attentif peut saisir à chaque instant des vestiges d’époques et de civilisations aujourd’hui disparues : des Celto-Ligures aux Francs en passant par les Etrusques, grecs dIonie qui fondèrent Phocée, romains de Domitius qui fondèrent la province Narbonnaise, Wisigoths, Ostrogoths et autres Sarrasins…une histoire millénaire et tumultueuse. Un peu plus loin, vers Saint-Rémy de P., le site antique de Glanum, ville romaine construite sur un sanctuaire Gaulois datant du 6ème siècle AV JC, sur une source. Thermes, piscines, temples, forum, arc monumental (sur lequel on peut voir des captifs, hommes et femmes, au pied de trophées, laissant transparaître leur abattement), fortifications, et autres vestiges faisant surgir une cité, une civilisation faite d’hommes, de dieux, de pratiques, de rites aujourd’hui disparus (au moins en apparence). Et comme il est difficile d'imaginer, à partir de ces quelques traces minérales, la vie de ces hommes, pareils à nous; C.Levi-Strauss, parlant de sa vie d'ethnologue, dit à un moment (dans sa conversation avec Eribon, je crois) combien un film de 5 minutes de la vie d'une cité Grecque dans le courant du Vième siècle av JC nous éclairerait bien plus que les milliers de livres d'histoire et de travaux ethnologiques écrits depuis...Evoquant aussi son regard singulier, à la fois proche et éloigné, de l'homme attentif au temps présent mais décalé dans le temps et l'espace.

Eygalières se résume aujourd’hui à quelques rues tortueuses gangrenées par les agences immobilières aux photos de piscines bleues (ces thermes modernes), les « artisans d’art » et les troquets pour touristes Belges ou germano-pratins roulant Porsche ou Q7, genre Michel Drucker. Quelques indigènes blasés et au bronzage agricole, aux terrasses de cafés manifestement également indigènes. Mon ami Marc-Aurèle me dirait que même ces pitres friqués dans leurs palaces provençaux merdiques font partie du Tout, de ce Dieu, ce Cosmos qui est notre seul horizon et qu’il serait aussi vain d’attendre autre chose d’eux que d’imaginer qu’un figuier puisse produire autre chose que des figues…

Les maisons à péristyle de Glanum dont il ne reste que quelques pierres alignées sont comme ce temple païen recyclé par des Gallo-romains christianisés ou  ce buste de Marc-Aurèle retrouvé dans les égouts d’Avenches, ils nous rappellent que nous sommes mortels, que seul le présent compte. Et le passé pour O’Brien…Memento Mori.

Ca aide à vivre.

(Celto-Ligure)