Quelques questions posées à Pierre Borie et ses réponses pour poursuivre la réflexion autour de son texte précédent.
1- La normalisation de ces méthodes comptables n'est-elle pas un préalable nécessaire si on veut réellement la mettre en place et la généraliser
?
Sans doute. Ce sera le rôle de l'Autorité des Normes Comptables, qui aura à valider, en liaison avec les autorités compétentes, le processus mis au point par les professionnels eux-mêmes.
Ainsi pourront être normalisées les pratiques actuelles, bien trop disparates. Il s’agira de définir et préciser deux systèmes d’information :
-Celui qui permet de donner au tout début de la mise en application, un poids standard de CO² pour tout ce qui se trouve en stock dans les entreprises à l’instant zéro.
-Les règles pour une activation éventuelle des dépenses liées à l’environnement, de provisionnement des risques et des dépenses de remise en état, de démantèlement, de décontamination des sites.
Ce préalable est, à mon avis, moins une question technique à traiter qu’une volonté politique à affirmer. Lorsque surtout, les pouvoirs publics seront convaincus que les engagements
internationaux pris par notre pays, ainsi que les objectifs affichés lors des Grenelle 1 & 2 de l'environnement, obligent à prendre des mesures qui permettent une fiscalité environnementale à
assiette large, au même titre que la TVA pour ce qui est de taxe sur la consommation, ils sauront que cela passe nécessairement par une adaptation de la comptabilité des entreprises.
2-La généralisation de ces outils complexes ne va-t-elle pas pénaliser les très petites et les petites entreprises?
Ce n'est pas l'outil comptable en lui-même qui est complexe, mais la démarche préalable qui consiste à mesurer et à chiffrer les externalités à faire figurer sur les factures, tout au long de la vie d'un produit. Cela représente évidemment un coût pour les entreprises, mais il ne faut pas le croire exagéré. Un bilan environnemental ne sera pas bien compliqué à faire pour une TPE engageant peu de moyens de production. Le plus dur sera d’amorcer de bonnes pratiques dans l’entreprise.
Par ailleurs, on peut concevoir des formules simplifiées, tant il est évident que la TPE est beaucoup moins consommatrice d'externalités que la multinationale. L'ADEME est, ou sera en
mesure de proposer des barèmes, des grilles d'évaluation, que tout un chacun pourra adapter à sa situation, sous le contrôle des professionnels comptables qui les assistent déjà pour leur
déclaration fiscale, qui les conseillent pour optimiser leurs performances, ou pour attester la régularité et la sincérité des comptes qui sont publiés.
Quant aux taxes, et aux coûts administratifs supportés par les entreprises, ils ont vocation à être répercutés dans les prix de vente, et c'est bien le consommateur final qui en paiera le
prix.
3-La comptabilité environnementale doit-elle concerner uniquement le carbone? Que peut-on mesurer d'autres?
La taxe carbone est un bon indicateur parce qu'elle porte sur le principal agent responsable du réchauffement climatique, et qu'on trouve partout du CO². Il faut une unité de mesure qui ait un champ le plus vaste possible, et dont on puisse suivre la trace le plus longtemps possible. On pourrait parler de taxe sur l'énergie, sur les pesticides, sur le césium, sur les déchets, etc. Commençons par le carbone, et voyons ce que cela donne. On pourra dans un deuxième temps pister une autre source de pollution à combattre, à condition que cela soit faisable aisément. Le carbone est une unité pratique pour lutter à la fois contre les kwh et les déchets.
Mais on pourrait aussi mesurer par exemple les produits chimiques incorporés dans les aliments, les fumées toxiques, les décibels dans les oreilles, tout ce qui peut faire l’objet d’un flux dans les comptes de résultat. Pour ce qui est des stocks de produits polluant (l’amiante dans les toits par exemple), pourquoi ne pas appliquer les règles qui existent déjà sur les actifs et les passifs, en veillant à ce qu’elles le soient effectivement, et honnêtement ?
En effet, la comptabilité environnementale ne doit pas se limiter à dénombrer et à transmettre les mistigris achetés à l'extérieur. Elle doit aussi recenser les coûts futurs, en toute
transparence et objectivité. Peut-on se contenter d'amortir les coûts de démantèlement d'une centrale nucléaire sur 20 ans, alors que celui de Brennilis traîne depuis 1985, et que l’on voit ce
qui se passe à Tchernobyl et à Fukushima ? Si les externalités inhérentes à l'énergie électro-nucléaire étaient prises en compte jusqu'à ce que la décontamination de l'environnement soit achevée,
le prix du kwh ne tendrait-il pas vers l'infini ?
4- Ne faudrait-il pas récompenser les entreprises qui font l'effort d'une comptabilité environnementale? Et, dans l'affirmative, comment s'y prendre ?
Récompenser les entreprises vertueuses ? Pourquoi ne pas pénaliser les autres ? Ce serait moins coûteux pour les finances publiques, et plus conforme au principe du "pollueur-payeur". C'est
un travers bien français que de tendre des carottes pour que les gens adoptent un comportement citoyen. Cela les déresponsabilise, et génère des effets d'aubaine très coûteux pour la
collectivité.
La meilleure récompense viendra du marché lui même, car les produits moins chargés de carbone seront vendus moins cher, et les consommateurs sauront bien où est leur intérêt.
5-Quel lien précis faites-vous entre cette comptabilité environnementale et la fiscalité environnementale ? Comment, concrètement, voyez-vous le calcul de ces taxes à partir de
cette comptabilité ?
Il s'agit, dans un premier temps, de dénombrer dans chaque entreprise le poids de carbone inclus dans ses biens et moyens d'exploitation (bâtiments, matériels, stocks, mode de déplacement
et éloignement de ses employés ...), puis de le valoriser en fonction du prix donné par les pouvoirs publics (c'est une question politique : entre 15 et 200 € la tonne, par exemple, il y a de la
marge !). Cet "inventaire carbone" (l'expression "bilan carbone" est protégée) permettra, une fois valorisé, de répartir la charge correspondante sur chaque unité d'œuvre produite, ou chaque euro
de chiffre d'affaires. S'y ajouteraient toutes les charges transmises par les fournisseurs en amont (qui leur seraient payées). L'entreprise majorera son prix de vente d'autant, jusqu'à ce que le
consommateur paye à lui seul le prix de tout le carbone incorporé depuis l'origine. La dernière entreprise de la chaîne sera le collecteur de l'impôt.
Il faudra faire face à des difficultés : "marquer" les produits venus de l'étranger qui ne relèveraient pas des mêmes règles ; moduler le prix du carbone et des taux de TVA pour que le prix final payé par le consommateur ne soit pas excessif ; s’assurer de la transparence du dispositif, de son exhaustivité et de l’absence d’effets pervers, comme par exemple en prenant deux fois en compte les mêmes éléments.