Entre concert pour l’investiture et préparatifs du Femua 4, Traoré Salif alias A’Salfo, lead-vocal du groupe Magic System, lance un appel aux artistes ivoiriens exilés. Selon lui, c’est le moment de se racheter, car tous les artistes, sans exception, ont failli à leur mission.Pendant que la Côte d’Ivoire traversait une profonde crise, le groupe Magic System obtenait son 14e disque d’or avec l’album ‘’Toutè Kalé’’. Comment avez-vous vécu ces instants de joie et de malheur ?Nous l’avons plus ou moins mal vécu. Parce qu’il n’est pas évident d’être un artiste qui représente son pays à l’extérieur et de voir tous ces évènements se produire sans toutefois crier gare. Le fait que nous soyons des ambassadeurs de ce pays, on se devait de dire quelque chose. Moi, je trouve que tout le monde a démissionné. C’est vrai qu’à notre niveau, nous avons réalisé une chanson pour la réconciliation, c’était notre devoir, mais nous avons tous démissionné.Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?L’artiste, c’est celui qui relaie les problèmes du peuple auprès des autorités. Ce que nous avons constaté, au lieu de constituer des relais des besoins des populations, les artistes ont plutôt véhiculé les messages des politiciens auprès du peuple. C’est pourquoi on parle d’artistes Rhdp et d’artistes Lmp. Alors que c’est nous qui devons permettre aux hommes politiques d’apaiser leurs rancœurs pour permettre au pays de se développer. Malheureusement, les artistes ont préféré le camp des politiciens au camp du peuple.l Selon vous, que devaient-ils faire ?A un moment donné, il n’y avait plus d’idéologie, c’était des messages partisans. Nos mamans qui étaient au marché voulaient qu’on parle des denrées alimentaires qui se faisaient rares et devenaient chères. Le peuple voulait qu’on parle de la jeunesse qui est au chômage, qu’on leur donne de bonnes nouvelles. Pour moi, il ne faut pas qu’on indexe ces artistes qui sont au Ghana, au Togo, au Bénin… Il faut leur permettre de rentrer. Parce qu’aucun artiste, au regard de la loi, ne doit avoir le courage de lever la tête et de regarder les populations. Nous devons avoir honte. Parce que nous avons tous trahi.l Qu’est-ce qui maintient, aujourd’hui, certains artistes hors du pays ?C’est la crainte, la peur. La peur, peut-être, d’avoir milité pour des choses qui n’allaient pas dans le sens des besoins de la masse. Ils se reprochent quelque chose et ils ont peur de subir le courroux des populations. Mais, qu’ils sachent que nous sommes tous coupables de ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire.l Que faites-vous alors pour vous racheter ?J’ai par exemple appelé Angelo Kabila. Tout le monde savait que ce monsieur et moi étions opposés sur différents points. Mais, si aujourd’hui, lui et moi parlons, c’est pour donner une image forte aux gens. Il viendra travailler avec nous dans le cadre du Femua 4. J’ai aussi parlé à Serges Kassy, à Abou Nidal qui était au Bénin et qui est de retour. Tout le monde doit rentrer. Je ne suis le président d’aucun mouvement. Je ne m’appuis sur aucune organisation pour faire ce que je fais. C’est un acte citoyen, un devoir de patriotisme. Si on veut se racheter, c’est maintenant qu’on doit le faire. Si on pense qu’A’Salfo est en Côte d’Ivoire parce qu’il n’a pas pris partie, ce n’est pas vrai. Car, en ne prenant pas partie, A’Salfo a démissionné. Au moment où je devais parler je ne l’ai pas fait. Le seul moyen de me racheter, c’est de rassembler tous les artistes. Nous ne sommes plus en campagne. Toute la Côte d’Ivoire, avec le Fpi en première ligne, était à l’investiture du président de la République à Yamoussoukro. C’est un pays qui se réunit. Et cela doit se faire avec les artistes.l Pensez-vous que tout le monde accueillera positivement ce message?Aux populations, je dirais de taire leurs rancœurs, de désarmer leurs cœurs. Tout grand pays qui aspire au développement passe par cette étape. Il faut pardonner. Nous n’avons pas subi ce que l’Afrique du Sud et le Rwanda ont subi. Ces pays sont unis, pourquoi pas nous ? C’est vrai qu’il y a eu des morts, mais sachons qu’ils font partie du destin du pays. J’étais proche de Laurent Gbagbo. Je le portais dans mon cœur. Je suis en Côte d’Ivoire et personne ne m’a touché. Ce qui veut dire que tout le monde peut rentrer pour aider les nouvelles autorités à aller vers la paix.l Vous avez été reçu par le président de la République et avez donné un grand concert dans le cadre de son investiture, le week-end dernier. Cela ne fait-il pas penser que vous avez pris partie ?Alassane Ouattara n’est plus le président du Rdr. Il est le président de la République de Côte d’Ivoire. Autant quand le président Laurent Gbagbo avait besoin de moi je me déplaçais, autant quand Alassane Ouattara, président légitime de Côte d’Ivoire a besoin de moi, je me déplace. Et cela s’est fait dans le respect. Je ne suis qu’un artiste. Généralement avec les présidents, même les ministres, ce sont les secrétaires qui appellent. Mais, le respect qu’il a eu à mon égard en m’appelant personnellement m’a sidéré. Cela se passe rarement. J’ai tout de suite senti qu’il y avait un changement. Je suis venu aider ce nouveau pouvoir car je sens un effort à réunifier tous les Ivoiriens. Modestement, je me dis qu’en tant que leader de cette jeunesse dans mon domaine d’activité, je peux avoir mon mot à dire.l Tiken Jah a déjà ébauché un projet auquel vous êtes associés. Quel rôle allez-vous jouer ?Tiken et moi avons parlé. Le coup de fil honorable que j’ai reçu du président m’a donné une force pour l’accompagner dans sa mission de réconciliation. Au-delà de Tiken Jah, j’ai croisé Didier Drogba, Yves Zogbo Junior pour trouver un consensus qui pourrait regrouper tous ces acteurs en vue d’apporter notre assistance aux nouvelles autorités. Ce n’est pas une tournée de Tiken Jah ou de Magic System qu’on n’a jamais vue. Ce qui est important, c’est ce que nous allons donner comme contenu. La tournée est une bonne idée. Mais nous ne souhaitons pas être sur scène et ne voir que des militants Rhdp ou Lmp. Nous voulons voir tous les Ivoiriens ensemble. La tournée ne sera qu’une des actions que nous allons entreprendre au plan culturel pour mettre tout le monde ensemble.l Votre actualité, c’est le Femua 4 qui se tiendra du 23 au 25 juin prochain. A quoi auront droit les populations ?Pendant trois jours, les Ivoiriens vont se retrouver pour communier, danser et chanter à Anoumabo. Des artistes internationaux effectueront le déplacement pour égayer les festivaliers et montrer à l’opinion internationale que la Côte d’Ivoire renaît. C’est le Femua le plus important pour moi, car c’est le premier gros évènement culturel qui se tiendra après la crise post-électorale.l Sous quel signe placez-vous l’évènement et quelles seront les têtes d’affiche ?Ce sera sous le signe de la réconciliation et de l’intégration. Quand on nous disait que les Burkinabè, les Maliens, les Togolais, les Sénégalais… étaient menacés, cela nous intriguait. Nous allons permettre à toutes ces populations de se sentir chez elles. Dans notre programmation, nous avons fait un plan géographique qui permettra à toute l’Afrique de se réunir. En Afrique centrale, nous avons retenu deux artistes. A savoir Patience Dabany qui est une mère, mais aussi qui a été première Dame et qui est, aujourd’hui, maman de président de la République. Son message sera très important. Mais aussi il y aura JB M’Piana qui va fédérer toute l’Afrique centrale. En Afrique de l’ouest, il y aura des créateurs du Sénégal, du Burkina (Floby), du Ghana (Kodjo Antwi), du Mali (Salam Diallo). Il y aura aussi un artiste qui représentera la France (Soprano). Au plan national, nous avons retenu Meiway, Magic System mais aussi Mawa Traoré, Dj Arafat, Lino Versace, Spyrow, Aboutou Roots… une programmation qui permettra à tout le monde de communier.l Qu’est-ce qui est prévu au plan humanitaire ?Le volet humanitaire, cette année, est l’aboutissement de quelque chose que nous avons entreprise depuis les éditions précédentes. Lors du premier Femua, nous avons annoncé que nous allions offrir une école au village d’Anoumabo. La promesse que nous avions faite sera tenue. Nous allons couper le ruban de cette école. Aujourd’hui, dans le contexte actuel, une école est très importante. L’occasion est belle pour faire don d’une école car le pays en a besoin.Interview réalisée par Choilio Diomandé et Sanou A.