Au risque d'aller contre la quasi-totalité de la classe politique et l'intégralité de la blogosphère, je vais dire du bien du fameux rapport Terra Nova sur les classes populaires. Pourtant, je suis loin d'être un fan de Terra Nova.
Au lancement du think tank, je me souviens de l'un des responsables en train d'expliquer qu'ils allaient travailler trouver des solutions, dossier par dossier. À la fin il faudrait trouver un slogan pour les résumer. C'est la concrétisation de l'une des plus grandes faiblesses de la mentalité PS, à savoir cette conviction qu'il suffit, pour convaincre et pour gagner des élections, d'avoir raison sur les dossiers. C'est la religion de la démocratie technocratique, la foi que la science va se traduire par une adhésion populaire. Ensuite, quand Sarkozy l'emporte avec "travailler plus pour gagner plus" et "tous propriétaires de vos HLM", ou leurs équivalents pour 2012.
Pire encore, le rapport en question semble valider l'abandon effectif par le PS, depuis au moins 2002, de l'électorat populaire. (J'en ai déjà parlé en mars.) Ainsi, donner l'impression, comme le dit Marc Vasseur, d'"abandonner les classes populaires" est une erreur de communication monumentale qui en plus arrivait peu de temps après l'épisode Porsche de DSK qui avait gravement atteint l'image du directeur du FMI.
En somme, je ne suis pas spécialement fan de Terra Nova et rien ne me prédispose à être conciliant avec leur rapport.
Et pourtant, je pense que, sur le fond, nous avons tort de critiquer ce rapport, même si, niveau comm', c'est très moyen.
Tout d'abord, il y a une confusion dans la quasi-totalité (il y a des exceptions) des réactions, entre vote ouvrier et vote populaire. Si je puis résumer le propos du rapport, c'est ça : le vote populaire n'est plus le vote ouvrier ; l'ouvrier et sa situation, son rapport au travail et au capital, ont servi pendant plus d'un siècle comme socle de l'imaginaire politique de la gauche, à tel point que, quand on dit : le PS ne peut plus courrir après le vote ouvrier, on entend, tout naturellement, le vote populaire. Puisque Terra Nova est visiblement un truc de bo-bos, il n'est pas difficile de voir dans le rapport une sorte de consécration du bo-bo comme électeur type.
Sans les compétences nécessaires, je ne peux pas évaluer toute la démarche du rapport. Philippe Cohen, par exemple, insiste au contraire que le petit salarié rejoignent de fait l'ouvrier, préservant ainsi l'identité d'une classe ouvrière/populaire à l'ancienne :
dès lors que le salaire de l’employé se confond avec celui de l’ouvrier, et il n’y a plus lieu de distinguer ces deux catégories dans une perspective sociale, politique ou électorale. Du coup, loin d'être affaiblie, la classe ouvrière sort au contraire renforcée de cette évolution économique.
Mon sur-moi marxiste me souffle à l'oreillette que ces deux catégories ne peuvent pas tout à fait se rejoindre, tant les rapports de forces (positionnement vis-à-vis du Kapital et du travail, structure du marché du travail, cultures) qui déterminent leurs situations sont différents.
Ainsi, le rapport Terra Nova me semble assez convaincant avec des développements comme celui-ci :
L’explication passe sans doute par l’absence de toute incarnation politique de cette population dans le discours de gauche. La gauche est ouvriériste : quand elle s’adresse aux travailleurs populaires, elle fait référence à l’ouvrier du XXème siècle. Son imaginaire est celui du travailleur industriel à la chaîne : homme, syndiqué, porteur historiquement de la fierté de la classe ouvrière. Elle ne parle pas de l’ouvrier du tertiaire, qui ne bénéficie plus du collectif de classe à l’usine, et encore moins de l’employé : femme, souvent seule avec un enfant à charge, désyndicalisée et sans identité historique de classe, précarisée le plus souvent (temps partiel subi). (Page 49)
Ce paragraphe explique aussi comment le PS peut avoir autant de succès dans les élections municipales, où la question des crèches par exemple peut être centrale pour justement ces employées qui, sur le plan national, ne trouve rien de particulier pour elles dans le message global du PS. Dans le programme du PS il y aura, bien entendu, des mesures qui concernent l'école et l'emploi, mais on peut se demander si l'ensemble est ficelé pour attirer de ces ouvrières du tertiaire.
Le modèle de l'ouvrier comme socle de l'imagerie de gauche peut également conduire à cette situation paradoxale où la seule façon d'aider les ouvriers en empêchant les délocalisation, c'est d'entrer dans ce jeu de séduction avec les très grandes entreprises, ce qui aboutit à un socialisme de l'entreprise où le PS perd sa différence avec la droite. Depuis que « l'État ne peut pas tout », courir après les entreprises est devenue une nécessité, mais je parle là du symbolisme politique.
Et c'est là où l'on rejoint l'un de mes thèmes préférés quand j'essaie d'imaginer un meilleur socialisme : le fractionnement du pouvoir économique et politique. Ce billet est déjà trop long, mais je voudrais au moins suggérer que la prise en compte du nouveau visage de l'électorat pourrait être le point de départ d'un socialisme fondé sur un fractionnement du pouvoir politique et économique, plutôt que sur une consolidation productiviste. J'y reviendrai.