Il est de tradition, en France et le dimanche matin, au moment de grignoter un croissant ou deux, de lire la presse nationale. Ce n’est pas bien. Outre le niveau abyssal de cette dernière, se livrer à cet exercice coupable (généralement devant tout le monde, sans se cacher) pollue l’esprit et empêche la plupart du temps de voir au-delà de l’écume des jours. Et c’est très mauvais pour le coeur !
Rien qu’en regardant les gros titres puis les faits divers, on en conclut que cette société part en sucette grave, que les barbares sont à nos portes, qu’on se larde de coups de couteau pour un oui ou pour un non, que certains se font justice eux-mêmes, bref, que les déchaînements de violence se font de plus en plus nombreux, alors que les forces de l’ordre se font tous les jours plus passives, et que les criminelsprésumés innocents sont relâchés, avec un petit bisou républicain pour faire bonne mesure.
Eh bien, si on s’en tenait à une lecture superficiel de cette presse, on en conclurait bêtement que ce pays est foutu. Et là, je dis stop.
Tout d’abord, ce n’est pas le genre de la maison de faire du mauvais esprit, de déverser du fiel sur les nobles institutions républicaines, démocratiques, festives et savamment dosées que nos élites, probes et la tête haute, s’emploient à faire perdurer contre vents et marées dans cette magnifique contrée du Bisou Qui Cogne.
D’autre part, il semble acquis que la presse, par nature même, mettra bien en exergue les faits les plus saillants, les ratages les plus navrants et les scoops les plus crados, mais ne reportera pas les cas les plus triviaux où les méchants sont appréhendés, les gentils sont sauvés et la justice fait son travail de façon parfaite.
Soit.
Il n’en reste pas moins qu’en omettant de mentionner les cas où la police et la gendarmerie, le bras armé de la Justice, agissent de façon appropriée, dosée, calculée et réfléchie, on en vient à croire que nos braves représentants de l’ordre n’agissent plus guère dans le cadre des missions difficiles et ne servent que de décor sur les aires d’autoroutes.
Par exemple, comment continuer à croire que rien ne sera tenté, qu’aucune police ne sera envoyée dans une cité où le trafic de drogue, les viols en tournantes, les vols et le rackets sont monnaie courante alors que nous tous, citoyens, pouvons être assurés de leur présence pour le moindre harcèlement moral ?
Après tout, pour un tel harcèlement (bien plus grave que des viols, du trafic de drogue ou du racket, comme on s’en rappellera judicieusement), on n’hésite pas à mobiliser 45 policiers de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) pour aller choper quelques papiers et perquisitionner les locaux de France 24.
Et c’est normal, après tout : les autochtones de ces locaux — dont certains sont de dangereux journalistes — sont, on le sait, loin d’être faciles et calmes et bien souvent, la police se retrouve dans de véritables guet-apens dont on devra les extraire à coup de GIGN.
Mais cette nouvelle a ceci de rassurant pour vous, citoyen, que, la prochaine fois que vous vous sentez vaguement harcelé au travail (un rapport à rendre un peu trop tôt, quelques éléments qui montrent qu’on vous bloque dans votre promotion, que sais-je), vous pourrez compter sur un bataillon de gendarmes pour venir tirer ça au clair. Et là, le harceleur aura intérêt à bien se tenir.
Et si l’on fait intervenir la police ou la gendarmerie pour mater les harceleurs, pas de raison de s’arrêter en si bon chemin : chopons un triplet d’informaticiens qui ont le vice abominable de mettre à disposition des internautes les liens sur des lieux de téléchargement d’applications ou de matériel multimédia, et — toute honte bue — d’en profiter avec de la publicité fort rémunératrice…
Là encore, se focaliser sur les petites frappes des quartiers chauds, sur les dealers, sur les multirécidivistes du racket, du vol à l’arrachée, ou sur les trafiquants de drogue ou de voitures volées, c’est oublier que notre pays pullule bien avant tout ça de dangereux contrefacteurs de logiciels, de films, de musiques et de livres électroniques ! Combien de familles déchirées, combien de jeunes fauchés par ces criminels sans scrupules ? Combien de milliards l’économie française perd-elle par ces dealers de produits numériques frelatés ?
Oui, la police a bien raison de s’occuper d’abord de ces vils techniciens de la copie illégale !
Et surtout, si on chope les harceleurs moraux et les contrefacteurs numériques sans lésiner sur les moyens, n’oublions pas les gangs de grands-mères et autres groupes de vieux prêts à toutes les bassesses pour passer un après-midi loin de Derrick !
Il semble en effet inconcevable de n’envoyer qu’un ou deux inspecteurs pour relever une infraction ou un crime en plein milieu de la faune sans pitié d’une maison de retraite ou d’une association de loto dominical ; là encore, on a trop souvent vu l’affaire tourner à un carnage : les vieux, rappelons-le, n’ont absolument rien à perdre et n’hésitent généralement pas à faire immédiatement parler la poudre. Il n’est pas rare de lire les pires tortures que ces derniers feront subir aux prisonniers des forces de l’ordre qui n’auraient pas eu la présence d’esprit de venir en nombre suffisant et auraient dû se retirer lors d’un bingo dramatiquement agité.
Comme on peut le voir, à la réflexion, le crime est bel et bien poursuivi en France.
Il ne faut pas s’arrêter aux gros titres, il faut comprendre que, chaque jour, la juste dose de police et de gendarmerie sont employés pour choper le malfrat, que les parasites, les cancrelats, les vrais criminels sont pourchassés sans arrêt, traqués sans relâche et tomberont, tous, les uns après les autres, avec ou sans déambulateur.
Soyons donc rassurés ! Ouf ! La traque des vrais criminels bat son plein !