Au cours de ces dernières décennies, de nombreux intellectuels ont prétendu que l’on ne pouvait pas faire reculer le crime sans changements radicaux de l’organisation sociale et économique. Le crime serait insensible aux condamnations et aux châtiments car il résulterait de l’aliénation et des injustices, qui comprennent les conditions inacceptables de la vie en prison. Dans son livre The Crime of Punishment [Le Crime du châtiment], le psychiatre Karl A. Menniger affirme carrément : « J’ai le sentiment que le total des dommages sociaux engendrés par tous les crimes commis par tous les criminels emprisonnés reste inférieur à celui des crimes commis contre eux. »
Ce point de vue engendre un sentiment d’impuissance quant à la possibilité d’arrêter la montée du crime – sentiment qui semble avoir eu une influence sur la politique des pouvoirs publics. Les droits de l’accusé ont été très fortement augmentés, les juges et les jurys sont devenus de moins en moins enclins à punir même des personnes à l’évidence coupables, et on a de plus en plus considéré les policiers non comme des protecteurs mais comme des agresseurs.
Quelle qu’en soit la cause, il est clair que le crime a augmenté rapidement au cours des toutes dernières décennies et que la punition des criminels a grandement décliné. Le nombre des crimes violents par personne a plus que triplé aux États-Unis de 1930 à 1980 [Sur le plan méthodologique, rappelons, comme l'a plusieurs fois souligné Thomas Sowell, que les statistiques sur les meurtres présentent l'avantage d'éviter les possibilités de non-enregistrement (sur consigne gouvernementale) par la police officielle, les cadavres ne pouvant pas être aussi facilement ignorés que les vols d'auto-radios dans les registres de l'État. A ce titre les comparaisons sont plus fiables. NdT]. Les crimes contre la propriété ont augmenté à peu près dans la même proportion. Les tendances concernant les autres forfaits furent similaires. En outre, entre 1950 et 1980, la probabilité d’arrestation des personnes responsables de vols ou d’autres crimes diminua d’environ 50%. La probabilité de condamner ceux qui étaient arrêtés diminua également de manière significative.
Un « métier » attrayant
Il existe une optique plus ancienne quant à la motivation criminelle, remontant à Jeremy Bentham, le grand philosophe anglais du début du 19ème siècle. Cette approche a été révisée et étendue dans les années 1960 et 1970 par votre serviteur et d’autres économistes. Selon l’approche économique, les criminels répondent, comme tout le monde, à des stimulations. Les étudiants sont plus nombreux à choisir d’aller dans les métiers du commerce et de l’ingénieur quand rémunérations et autres avantages y sont plus grands. De même, au cours des dernières décennies, plus de personnes ont été encouragées à commettre des crimes, ou à commettre des crimes supplémentaires, parce que le crime est devenu un « métier » plus attrayant au fur et à mesure que la punition est devenue moins probable et moins sévère.
De nombreuses études statistiques ont examiné la relation, aux États-Unis et dans d’autres pays, entre crime d’une part et châtiment, chômage et autres variables d’autre part, ceci afin de déterminer si les criminels répondent oui ou non aux stimulations. Ces études ont trouvé que les crimes passionnels, tout comme les crimes contre la propriété, diminuent quand les châtiments sont plus probables et plus sévères. Il en résulte qu’une grande partie de la montée du crime depuis 1950 a été encouragée par la diminution des punitions.
La proportion de la population entre 15 et 24 ans a augmenté depuis le milieu des années 1950 jusqu’en 1980. Ceci a également contribué à la montée du crime, car de jeunes gens sont plus enclins à briser la loi. Ici aussi, les effets des stimulations sont visibles. Les jeunes courent moins de risques d’être punis quand ils sont arrêtés. Dans les faits, les tribunaux donnent à chaque adolescent au moins un crime « gratuit. » De plus, les jeunes non qualifiés se tournent vers le crime lorsqu’ils ne peuvent pas trouver un emploi honnête ou lorsqu’ils ne peuvent trouver que des emplois mal-payés.
Dissuasion
La situation semble toutefois prendre un virage prometteur. La frustration et la peur produites par la montée du crime dans les années 1960 et 1970, ainsi que le résurgence de l’analyse économique du crime, ont peut être réussi à modifier la politique publique au cours des dernières années. Les probabilités d’arrestation des criminels et de punition de ceux qui ont été reconnus coupables ont toutes deux commencer à grimper. Le nombre de prisonniers a augmenté, de façon saisissante, de 40% depuis 1980.
Les crimes violents et les crimes contre la propriété ont également cessé de monter et commencé à baisser. Ceci est cohérent avec l’analyse selon laquelle les criminels sont dissuadés d’agir en raison de la punition, bien que la proportion de la population âgée de moins de 25 ans ait également commencé à baisser ces dernières années.
On peut décourager encore plus le crime. De nombreux changements seraient efficaces, mais ils réclament tous des juges et des législateurs bien disposés, ainsi qu’une opinion publique favorable. Voici quelques suggestions pour modifier les incitations agissant sur les criminels. Depuis 1960, le nombre des officiers de police a baissé de plus de 50% par rapport au nombre des crimes. La certitude de la punition peut être accrue par de modestes augmentations des dépenses locales, au niveau fédéral ou au niveau des États, afin de développer les forces de police.
De plus, nous pourrions poursuivre la tendance récente vers des peines plus lourdes pour les crimes importants et encourager les tribunaux à rectifier plus profondément certains changements introduits au cours des années 1960 et 1970 quant aux procédures criminelles.
Dans le même esprit, nous pourrions exempter les jeunes gens des lois sur le salaire minimum. Ces lois éliminent les jeunes non qualifiés du marché du travail et augmentent leur taux de chômage. A son tour, ce chômage incite les jeunes à s’engager sur la voie du crime, et particulièrement des crimes contre la propriété.
L’approche économique indique que nous ne devons pas nous résigner passivement au niveau actuel du crime. En apaisant la peur du public, la réduction du crime consécutive à la mise en application de ces propositions compenserait largement les coûts économiques et sociaux.
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Article de Business Week (1985)
Repris dans le recueil The Economics of Life de Gary S. Becker et Guity Nashat Becker
traduit par Hervé de Quengo