Il y a de cela moins d'un mois encore, je me glorifiais de mon total manque de possessions terrestres, et encore plus du fait que je n'avais besoin de rien. J'étais jeune et idéaliste, et je n'avais aucune velléité d'aller dans le moindre magasin ou d'adresser la parole au moindre type que je suspectais de vouloir me vendre quelque chose.
En gros, mis à part mes bouquins et les quelques meubles que j'avais hérité d'un oncle du Portugal, je n'avais qu'un tabouret en bois, un oiseau en balai et un déroule-papier-toilette en boite de conserves (très élégant au demeurant).
Hélas, cette vie-là est maintenant derrière moi, car mes parents sont passés par là, un peu comme des démons tentateurs, ceux qui font passer des filles en bikini sous le nez de braves curés qui n'avaient d'intérêt que pour leurs plants de tomates ou leurs cuves à bières (et moi, je n'avais même pas de cuves à bière).
Et ils ont commencé à remplir ma maison de trucs et de machins. Ca a commencé par une calebasse, parce que « ben t'avais rien pour mettre tes légumes ». En effet, mais jusqu'à leur arrivée, je n'avais pas de légumes non plus. Et maintenant, je dois en acheter suffisamment pour remplir ma demi-douzaine de calebasses, fort jolies au demeurant, mais bon, voilà quoi. Des calebasses. Ma vie est remplie de calebasses. J'en ai sur les étagères, sur les tables, sur le sol. Elles bouffent mon espace, et je ne peux rien y faire.
Mon appartement, qui était un modèle de dénuement que n'aurait pas renié Gandhi, est maintenant un havre à calebasses.
Si encore ça s'était arrêté là !
Mais non. Ils ont aussi estimé que mon appartement était tristoune. Moi, je le trouvais conceptuel, avec ses beaux murs blancs, constellés de ci de là de quelques taches vermillons, témoignages poignants de la fin tragique de quelques moustiques égarés.
Mais non. Il a fallu que j'achète des tableaux pour couvrir les murs. Ils m'ont offert un masque et un vieux bonhomme en bois. Je n'ai échappé au punaisage d'un grand tissu mauritanien sur le mur que parce qu'ils avaient oublié de prendre un cadeau pour ma grande soeur.
Ils ont même brisé l'harmonie jaune-marron-orangeasse de mon salon en me forçant à acheter un tissu bleu pour couvrir mon canapé orange. Je vous jure.
J'ai l'impression que mon appartement est habité, maintenant. C'est perturbant. J'avais construit mon chez-moi comme un chez-personne-d'autre-et-d'ailleurs-chez-personne, et maintenant me voilà planté là, au milieu de mes calebasses et de mon art africain. J'ai même des assiettes en bois. Et des couverts à salade en bois qui trônent sur mon étagère aux côtés de mon déroule-PQ et de mes masques en authentiques imitations d'antiquité.
Et je vais devoir ramener tout ça en France, parce que je me suis mis à y tenir.
Je n'avais qu'un déroule-PQ dans ma vie, bon sang. J'étais si heureux.