Le spectacle était bien rodé, avec son décor de rêve dans l'une des plus Bling Bling station balnéaire de France. Sarkozy était partout, maître du monde, hôte sérieux et souriant, agité-branché de l'e-G8. Cette rencontre, que l'on croyait consacré à la régulation des marchés, fut en fait dédiée au printemps arabe. La régulation attendra encore quelques décennies.
Une fois de plus, il y avait un profond décalage, cette semaine, la 212ème depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, entre les images officielles et la réalité de Sarkofrance.
Inutiles G8
Mardi, Sarkozy avait convié quelques stars de l'e-économie et des médias pour un « e-G8». Sur le site elysée.fr, cela fait chic, moderne, branché. Internet à l'Elysée, une appli iPad lancée le même jour pour tout suivre sur sa tablette. Dans les faits, puisqu'il y avait aussi le représentant de la plus grande dictature du Monde - la Chine - et Ruppert Murdoch, la magnat australien fidèle soutier de la droite américaine, on parla libéralisme mais pas liberté. La question de l'expression libre sur Internet n'était surtout pas à l'ordre du jour de ce coup de communicants. Mais Sarkozy fut d'un lyrisme inédit et pompeux : «Les rêves d’hier sont devenus réalités et l’univers des possibles s’agrandit chaque jour devant nous.»
Sans DSK dans les pattes, notre Monarque devenait le très Grand Homme, le maître du Monde médiatique. Qu'importe le printemps arabe que la France a loupé, le chômage de masse qui perdure, la croissance qui reste molle, c'est le printemps de Sarkozy !
Communication indécente
Plus tard, jeudi, à Deauville, Nicolas Sarkozy avait invité ses 7 homologues du G8 dans l'une des stations balnéaires les plus Bling Bling du pays. A l'entendre parler de cette présidence française du G8 et du G20 depuis novembre dernier, on croyait que de grandes régulations nouvelles de la finance mondiale et des marchés de matières premières allaient émerger. En fait, comme le rappelait Jean Quatremer pour Libération, le printemps arabe a sauvé ce G8 d'un vide sidéral.
L'opération n'était qu'une farce grotesque, une opération de communication narcissique et préélectorale manifeste. Pour preuve, la place toute spéciale accordée à Carla Bruni-Sarkozy dans l'agenda officiel, distribué par les services de la Présidence. L'épouse exhibait son ventre arrondi aux côtés de quelques conjointes. Sarkozy avait convié 1.500 journalistes pour annoncer la grossesse de sa femme, photos du ventre à l'appui. Le plus drôle, c'est qu'il n'a pas l'assurance suffisante, à la différence de son ami Berlusconi, pour assumer cette intrusion de la vie privée.
A Deauville, le show était presque parfait, c'est-à-dire indécent. A leur arrivée, Sarkozy fit défiler les chefs d'Etat quelques mètres sur la croisette deauvilloise devant quelques centaines de militants et sympathisants UMP sélectionnés par le parti. Il y eut ensuite un « déjeuner de travail » sur la solidarité avec le Japon, puis une après-midi au centre de conférence situé en face du casino, puis à nouveau un « dîner de travail », mais avec conjoints, sur le printemps arabe et la Libye. . Le lendemain matin, les 8 devaient déjà passer la matinée à rédiger ... leur communiqué de presse de clôture : « Un nouvel élan pour la liberté et la démocratie » ! Fichtre, quelle emphase !
Sarkozy maître du monde
Sans surprise, le président français se livra enfin à l'exercice tant attendu de la conférence de presse, dès jeudi soir. Emprunt de sérieux, il put expliquer combien il voulait conserver tout le recul nécessaire pour éviter de commenter l'affaire DSK. Deux jours avant, le Monde avait révélé que ses proches faisaient circuler une ancienne note des RG prétendument compromettante pour DSK. Et samedi dernier dans son avion vers la Côte d'Ivoire, le Monarque avait confié à quelques journalistes, en « off » bien sûr, combien il jubilait de la disparition politique de Dominique Strauss-Kahn.
Ce jeudi, Sarkozy put également exprimer son soutien à la candidature de Christine Lagarde à la tête du FMI, « une femme de grande qualité, dont la personnalité est assez prévisible » . Sa ministre des Finances, peu inquiète que sa mise en cause dans l'affaire Tapie puisse la gêner, avait déclaré ses intention la veille. Mediapart a pourtant livré quelques pièces à charge contre la ministre, comme ce rapport du procureur Nadal adressé aux enquêteurs de la Cour de Justice de la République. Christine Lagarde, si l'enquête confirme, risque la mise en examen.
Petite estrade
Vendredi, re-belote. Nicolas Sarkozy remonta sur sa petite estrade deauvilloise, pour la clôture de ce G8. Il donna quelques leçons : pas question de restructurer la dette grecque. Nos amis les Grecs continueront de boire leur potion de rigueur : « Si la restructuration signifie qu'un pays ne rembourse pas ses dettes, c'est non. C'est clair et précis ». Mais pour l'essentiel, notre Monarque paraissait suiveur. Sur la Syrie, il s'est résolu à suivre Barack Obama pour « retirer notre confiance » au dictateur syrien et demander son départ. Sur le conflit israelo-palestinien, il a félicité la prise de position publique de Barack Obama qui, sans attendre le G8, avait livré un discours le 19 mai dernier réclamant la création d'un Etat palestinien. A l'Elysée, on avait serré les dents de rage et de jalousie. Une fois de plus, le président américain faisait de l'ombre au Monarque.
La seule grande annonce de ce G8 fut que Tunisie et Egypte recevront 40 milliards d'euros d'aide : 20 milliards des banques multilatérales de développement, 10 milliards des pays du Golfe et 10 milliards des membres du G8. Au passage, la Russie a officialisé son revirement à l'égard de Kadhafi, acceptant de signer une déclaration commune qui exige le départ du dictateur. Sur ces 40 milliards, l'aide française sera modeste: un milliard pour les deux pays. Un journaliste tunisien s'est demandé pourquoi le G8 n'avait pas plutôt décidé d'annuler la dette de son pays.
Scandales d'Etat
A Paris, l'un des ministres sarkozyens, George Tron, est à son tour accusé d'agression sexuelle par deux ex-employées municipales de la commune de Draveil dont il était le maure; samedi, il s'interroge sur sa prochaine démission. Les dérapages sont nombreux. Quand l'Assemblée nationale étudie une proposition de loi légalisant le mariage homosexuel, une députée UMP croit faire un bon mot en lançant « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? ». Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, expliquait dimanche que « les deux tiers des échecs scolaires, c'est l'échec d'enfants d'immigrés », puis, mercredi, que les deux tiers des enfants d'immigrés quittaient le système scolaire sans diplôme. L'homme ne sait pas de quoi il parle. Vendredi, Thierry Mariani, secrétaire d'Etat aux Transports, renchérit : « une bonne partie des jeunes qui ont des problèmes sont issus de l'immigration ».
Mercredi matin, Xavier Bertrand commente les derniers chiffres du chômage qu'il était seul à connaître. C'est plus simple. Le nombre de sans-emploi baisse. Mais le nombre de petits boulots s'envole (+6%), tout comme la durée moyenne d'inscription. Le nombre de sorties du chômage pour cause de reprise d'emploi stagne. Jeudi, quelques caméras de télévision filent filmer la grande opération de recrutement de professeurs sans diplômes d'enseignants organisé par Pôle emploi : l'Education nationale manque de remplaçants...
Vendredi après-midi, vers 15 heures, le G8 était terminé. Nicolas pouvait repartir en weekend avec Carla. Son Falcon 7X était cloué au sol pour un problème technique. Pas de problème, on lui envoya un autre appareil.
Ami sarkozyste, où es-tu ?