Collage dadaïste, poème bruitiste, "bruit organisé fondu réverbéré, recréé" (P. Henry). La Symphonie pour un homme seul, c'est un peu tout ça. Nous sommes à la fin des années 1940, dans une France en pleine reconstruction. Pour expliquer la genèse de cette oeuvre, arrêtons-nous sur quelques grand moments de la vie de P. Schaeffer (1910-1995) depuis son entrée à la radiodiffusion française peu avant la deuxième guerre mondiale jusqu'à ses travaux avec Pierre Henry.
Schaeffer rentre en 1933 à l'école supérieure d'éléctricité (supélec), diplômé en 1934 il devient directeur de communication de la Radio diffusion française en 1936 après un passage à Strasbourg à la direction régionale des télécommunications. A la déclaration de guerre en 1939, Il est nommé lieutenant des transmissions.
Pendant la guerre il fonde le studio d'essai en 1942, c'est l'aboutissement d'un de ses premiers projets professionnels et une belle tentative de participer à la constitution d'un art radiophonique qui en est à ses balbutiements. Schaeffer l'exprime ainsi : "Nous allons créer avec ces gens doués pour le micro, un instrument de travail pour cet art radiophonique dont on ne sait pas trop ce que c'est". Le studio est installé au 37 rue de l'Université, en plein quartier latin, à Paris. Maurice Martenot, inventeur des ondes Martenot en 1928, participe lui aussi à la fondation du studio d'essai. Le décor est planté pour l'écriture des plus belles pages de l'histoire de la radio française et de l'expérimentation musicale. Sous l'occupation les activités du studio d'essai se concentrent sur la prise de son, l'interprétation et la mise en ondes. Certaines de leurs productions seront diffusées, le dimanche après-midi. (leur première eut lieu le 3 juillet 1943). Peu à peu le studio glisse dans la résistance et Schaeffer est démis de ses fonctions peu avant la libération.
A la libération s'ouvre pour Schaeffer une période plus instable où il enchaîne les missions à l'étranger (Etats-Unis, Canada, Antilles, Maroc, Sénégal...) et des postes éphémères à la télévision française alors à ses débuts (il sera notamment directeur des programmes pendant moins de 3 mois en 1946). Entre 2 séjours à l'étranger il poursuit ses travaux d'expérimentations musicales qui aboutiront bientôt à la naissance de la musique concrète grâce à 2 découvertes majeures, le sillon fermé et la cloche coupé. Le sillon fermé est la répétition d'un son gravé sur disque grâce à une rayure, c'est donc à partir d'une circonstance fortuite qu'une des plus grandes découvertes pour la musique contemporaine et la musique électronique va avoir lieu (c'est toute l'histoire de la science ça!). Il s'agit donc d'isoler un son enregistré pour le modifier par des appareils électroniques et le réutiliser, c'est l'essence même du sampling, qui aurait donc pu s'appeler sillon fermé ou bien échantillon de sillon. La cloche coupé découle du même principe, puisqu'il s'agit d'isoler un son produit par une cloche pour ensuite le graver sur disque et le modifier grâce à la technique du sillon fermé. Cependant, à l'époque, ce travail demande énormément de temps, les magnétophones à bande ne seront commercialisés qu'au début des années 1950 en France, puisque chaque expérience exige de graver un nouveau disque souple qui ne peut servir qu'une fois. Le 15 mai 1948, Pierre Schaeffer décide de nommer ce nouvel art sonore qu'il expérimente : musique concrète.
Un premier "concert de bruits" sera joué le 20 juin 1948 sur les ondes de Radio Paris... Puis, en 1949 il élabore la "Symphonie pour un homme seul" avec l'aide de Pierre Henry, alors jeune compositeur et Jacques Poullin à la technique. La première présentation eut lieu à l'école normale de musique le 18 mars 1950. La musique concrète sera ensuite consacrée officiellement grâce à la création du Groupe de Recherches en Musique Concrète (GRMC), fondé en octobre 1951 où passeront quelqu'uns des plus grands noms de la musique contemporaines (Olivier Messaien, Karlheinz Stockhausen, Pierre Boulez, Iannis Xenakis, Luc Ferrari...) et qui fera des émules un peu partout dans le monde. Au cours des années 1950 des studios de musique électronique sont créés un peu partout dans le monde, par les radio nationales (WDR à Cologne en Allemagne, BBC Radiophonic Workshop en Grande-Bretagne, Studio di Phonologia de la RAI à Milan en Italie...) et par des personnes privées (Raymond Scott, Louis & Bebe Baron aux Etats-Unis...). En 1958 le GRMC se transformera en Groupe de recherches musicales (GRM), Schaeffer le quittera définitivement en 1966 pour une carrière à l'ORTF (il présentera notamment des émissions scientifiques au cours des années 1970).
Quant au studio d'essai fondé par Schaeffer, il fut supprimé à l'époque de la libération. Cependant, l'esprit du studio survivra tout d'abord dans une émission "Radio-Laboratoire" puis au sein du "Club d'esssai" de la radio diffusion française fondé en 1946 par Wladimir Porché et dirigé par l'écrivain Jean Tardieu. Pierre Schaeffer y reviendra régulièrement en tant qu'invité et participera à cette aventure radiophonique où tous les genres possibles sont explorés et de toutes les manières. S'y croiseront des écrivains, des artistes de tout bord dont on peut retenir quelques noms : Antonin Artaud, Darius Milhaud, Pierre Tchernia, Pierre-Louis Millon, Bernard Blin, Boris Vian, Erik Satie. C'est l'époque de la libération, après 4 années d'occupation. Le club d'essai est doté d'environ 15 H d'émissions hebdomadaires, on peut y entendre les balbutiements de la musique concrète, des improvisations pleines d'humour de la part de Tardieu, Tchernia, Vian et consorts, le jazz du quartier latin, de la poèsie contemporaine, etc...
Quelques documents témoignant de cette époque peuvent être cité ici et en particulier "10 ans d'essais radiophoniques, du studio au club d'essai, 1942-1952" réalisé par Schaeffer lui-même. Cet objet rare, édité en 1953 est un des meilleurs témoignages de cet époque. Il s'agit d'un coffret de 5 albums avec chacun 2 vinyls :
1. La radio et ses personnages
2. L'écran et le son
3. Le texte et le micro
4. La mise en ondes
5. Machines et mémoires
Il a été réédité sous la forme de 4 cd et un livre par les éditions Phonurgia.
Plus facile à diffuser est le très bon reportage réalisé par Thomas Baumgartner et disponible en écoute sur Arte Radio.
Autres liens concernant Pierre Schaeffer et la musique concrète :
- Une petite histoire de la musique concrèter ici.
- Extrait d'un reportage consacré à Pierre Henry diffusé sur Arte
- Dossier consacré à Schaeffer sur le site de l'Observatoire Leonardo pour les Arts et les Techno-Sciences- L'article sur la musique concrète du fameux site SONHORS (à visiter pour tout savoir sur l'histoire de la musique éléctronique).
- Une bonne bibliographie sur le site de France culture