CENSORING AN IRANIAN LOVE STORY
( EN CENSURANT UN ROMAN D'AMOUR IRANIEN )
traduit de l'anglais par Georges-Michel Sarotte
... ou comment écrire et publier un roman d'amour en Iran, alors que la censure s'emploie à supprimer tout ce qui se réfère, de près ou de loin, voire de très très loin, à tous les émois physiques suscités par quelques élans passionnels, même à leur stade de balbutiement.
Exercice difficile, voire challenge impossible pour l'écrivain qui ne peut même pas permettre à son couple de se toucher, ne serait-ce que pour se tenir par la main, ou de s'isoler pour discuter en toute intimité, apprendre à se connaître, se découvrir, la moindre parole ou le moindre attouchement pouvant susciter, chez le lecteur, des pensées "immorales" (selon les bien-pensants et gardiens de l'ordre moral).
Ceci aboutit bien évidemment à des impasses et des situations cocasses, desquelles notre auteur, Shariar Mandanipour, essaie de se dépêtrer pour faire vivre son histoire d'amour, en recourant à toutes les astuces littéraires et métaphores possibles, et en devant faire preuve d'une grande imagination et de créativité littéraire pour tromper la censure.
Dans un style jubilatoire,Mandanipour s'attèle à sa tâche en direct, nous faisant vivre la genèse et l'évolution de son roman d'amour, devançant la censure en raturant lui-même les phrases qui ne passeront pas, et interrompant constamment le déroulement de son histoire pour éclaircir le lecteur non familier des moeurs iraniennes sur la réalité politique et sociale dans l'Iran post-révolutionnaire, réalité qui explique le lent dénouement de son intrigue.
Pour nos jeunes tourtereaux, Dara et Sara, la concrétisation de leur histoire d'amour n'est pas gagnée en effet. L'auteur tente pourtant de les arracher à la censure en nous glissant dans les coulisses de leur histoire, comme un aparté d'auteur à lecteur, à l'abri des yeux de la censure, dans lequel l'espace d'expression est bien plus libre, et où les personnages même laissent libre cours à leur pensée.
"J'espère, pense Dara, que notre destinée n'est pas entre les mains d'un minable écrivain censuré, sans tripes."
J'ai trouvé ça original cet aspect du récit où l'auteur se met lui-même en scène, dialoguant avec la censure incarnée par M. Petrovitch, laissant, magré lui, ses personnages échapper à son contrôle, le challenge étant tellement irréalisable dans ce contexte contraignant que le grand n'importe quoi s'immisce sur la fin.
Personnellement j'ai commencé à me lasser sur le dernier quart du roman car l'histoire d'amour tournait en rond façon "Les feux de l'amour" interminable, mais sans les feux ni l'amour (censure oblige - mais dans ce contexte, comment peut-il en être autrement, vu que nos tourtereaux ne peuvent pas faire grand-chose...), mais j'ai bien ri à la toute fin où l'auteur met un point final ubuesque à son histoire!
Un roman original plein de subitilité et de dérision, très instructif culturellement parlant. Encore une fois, je n'ai pu m'empêcher d'halluciner de tous ces interdits absurdes et révoltants qui régissent le quotidien des Iraniens. Je n'ai pas lu beaucoup d'auteurs iraniens mais je n'ai pas été déçue jusqu'à présent. Il y a toujours cet humour qui m'épate malgré un contexte qui ne s'y prête pas. Je pense ici en particulier à Marjane Satrapi.
Repéré chez Keisha, j'ai tout de suite su que ce roman allait m'emballer, et je terminerai en soulignant, tout comme elle, que ce livre vaut le détour rien que pour le désopilant chapitre consacré à la censure de "Danse avec les loups" par des spécialistes des questions cinématographiques et anti-américaines, et par un chef censeur aveugle (excellent excellent excellent!!!).
L'auteur
L'oeuvre de Shahriar Mandanipour a été récompensée en Iran bien que la censure ait interdit la publication de ses romans entre 1992 et 1997. Depuis 2006, il vit aux Etats-Unis où il enseigne à Harvard.